Masamichi Yoshikawa, architecte du céladon

Yoshikawa Masamichi
Yoshikawa Masamichi


Yoshikawa Masamichi est connu pour son œuvre singulière marquée par l’utilisation d’émaux céladon, bleu et blanc et de formes architecturales initialement inspirées par l’architecture vernaculaire paysanne. Sa première présence en Europe fut la Biennale de Vallauris de 1972, où il obtint le Grand Prix. Il a bénéficié d'une grande exposition personnelle à la Fondation Baur à Genève du 6 septembre au 15 octobre 2017. Le texte c après a été publié dans le catalogue de l'exposition.

 

Masamichi Yoshikawa est un céramiste japonais contemporain, auteur d’une œuvre de porcelaine, aux formes stylisées, blanche et bleue et surtout de pièces architecturées de céladon. Connu en Europe depuis les années 90, il est lauréat de nombreux prix, en particulier un deuxième prix à la Triennale de Nyon en 1992 et la médaille d’Or de la Biennale de Vallauris en 2002. La puissance de ses créations et la richesse de sa personnalité vont bien au-delà de cette définition. Né en 1946, à Funasato dans le district de Chigasaki, non loin de Tokyo, Masamichi Yoshikawa appartient à la génération de l’après guerre, celle du Japon ouvert et libre, qui s’affirme comme le pays le plus occidental, au sens politique et culturel, de l’Extrême Orient. C’est dans ce contexte d’aspiration à la modernité, qu’il poursuit des études de design dont il sort diplômé en 1968. A la fin des années 60, il s’installe à Tokoname dans le but, se rappelle-t-il, « de concevoir des objets destinés à la Scandinavie… les années 1970 ont été comme dans beaucoup d’endroits du monde une période d’intense interrogation sur l’esthétique.. Nous nous sommes posés beaucoup de questions sur la qualité des formes dans l’espace»(1). Ces quelques mots permettent d’imaginer l’appétit de ces jeunes créateurs pour les mouvements artistiques qui agitaient alors le monde de l’art en Europe et en Amérique du Nord.

 

A Tokoname, initiation à la céramique

Yoshikawa Masamichi
Yoshikawa Masamichi


Mais à Tokoname, Masamichi Yoshikawa est rattrapé par la tradition céramique. Tokoname est une ville moyenne de la préfecture d’Aichi, à 300 km de Tokyo, mais c’est surtout un des six anciens fours ( (six ancient kilns) du Japon avec Shigaraki, Bizen, Tanba, Ehizen et Seto. Tokoname est connu, dès le 12e siècle, pour ses grès en argile rouge, cuits à haute température. Au 20e siècle, Tokoname n’est plus qu’un centre industriel de céramiques utilitaires. Mais la tradition potière reste inscrite dans l’histoire de la cité et après quelques années de design, Masamichi pousse la porte de l’atelier de Yoshan Yamada qui lui apprend les bases de la poterie traditionnelle. Il y trouve, ce qui lui manquait dans son métier, le contact avec la matière et le geste qui met en mouvement le corps tout entier. Mais il ne cherche pas à reproduire la tradition «  à travers la terre, je m’attachais davantage aux tendances de l’art moderne et de l’expression conceptuelle qu’aux techniques traditionnelles comme celle du tour. » (2). C’est la porcelaine qui lui permet de concilier la manipulation de la matière et l’inspiration abstraite.


La porcelaine japonaise est connue depuis le 17e siècle. C’est un potier d’origine coréenne qui aurait découvert des gisements de kaolin. Dès lors, se développe une recherche de céladons et de pièces bleues et blanches imitant les porcelaines chinoises, aboutissant à la production bien connue d’Arita et des Kakiemon. Mais ce n’est pas du tout ça que fait Masamichi. Il crée des pièces utilitaires, en tout cas en apparence, des vases ou des objets pour la table, aux formes épurées dans un esprit contemporain en rupture avec la tradition.

Ces pièces sont en porcelaine blanche décorée de fines lignes bleues, tantôt

Yoshikawa Masamichi
Yoshikawa Masamichi

géométriques, tantôt sinueuses comme un liseron. Il s’en dégage une impression de lumière et de légèreté. Masamichi trouve ses références dans les productions chinoises et coréennes, « les pièces chinoises des Song du Nord exercent sur moi une évidente fascination, elles sont considérées à raison comme le sommet, l’apogée de la céramique chinoise. Elles se sont imposées d’elles-mêmes, ainsi que les pièces coréennes de la la dynastie des Yi, comme l’exemple qu’il me fallait suivre »(3). Pour rejoindre cet idéal, il recourt à la technique du Hakuji, adaptation japonaise de la porcelaine blanche sans motifs colorés et à celle du Seihakuji, glaçure présentant des nuances de bleu pâle, elle même issue de la technique chinoise du Qingbai Ware, à l’émail blanc légèrement teinté de bleu ou de vert que l’on assimile à un céladon. Masamichi cherche à retrouver dans la porcelaine, un support comparable au papier des calligraphes. La papier est une matière vivante. Il n’est jamais totalement lisse. Les minces épaisseurs de porcelaine, aux douces vibrations, sont une invitation aux subtils traits de l’artiste qui tient le pinceau.


En évoquant la céramique chinoise et la tradition japonaise, Masamichi affirme son appartenance à une histoire millénaire, mais le prendre au mot risquerait de masquer ce que sa pratique comporte d’innovant. Ce n’est pas seulement dans la technique, qu’il puise son inspiration. Masamichi est sensible aux traditions religieuses. Il y trouve l’exigence et les bienfaits de la méditation. Ses œuvres doivent contribuer à la paix de l’esprit par leur sérénité et leur équilibre. Masamichi est proche de la nature qu’il écoute avec tous ses sens, la vue, le toucher, l’ouïe, l’odorat. Ses pièces sont faites pour être touchées autant que regardées. Il travaille avec son corps. Mais, ses créations sont des œuvres de l’esprit autant que des mains. Même si elles ne sont pas précédées de dessins, il y apporte ce qu’il a retenu de son expérience du design et de son observation des courants contemporains. De la même façon, il marque son attachement à la cérémonie du thé, mais il propose à ces concitoyens des objets inédits.

 

L’invention des architectures de porcelaine

Yoshikawa Masamichi
Yoshikawa Masamichi

C’est dans ce contexte, qu’apparaissent les architectures de porcelaine. Elles découlent de ses recherches sur les formes, initiés dans les pièces utilitaires. Néanmoins, elles marquent une inflexion majeure. Elles renoncent au lien avec la fonction. Elles s’inspirent, délibérément, des paysages et surtout des maisons traditionnelles japonaises. Elles mettent en valeur, l’essence de l’argile et de l’émail, comme aucun vase ne parvenait à le faire. Elles révèlent l’inventivité de l’artiste. Les principes sont toujours les mêmes, les résultats tous différents. Ses architectures sont constituées d’éléments d’une infinie variation, minces comme une lame ou épais comme une brique, rarement exactement rectilignes. Les constructions jouent sur les déséquilibres, les pleins et les vides. Bien qu’elles puissent évoquer des réalités, des plans, des toits, des cours ou des habitats, c’est plus l’impression abstraite des assemblages qui frappe. La matière est soulignée par les fentes et les jointures, par les coulures de l’émail et surtout par les traces des doigts. Le jeu de la lumière sur le céladon bleuté et translicide, d’une grande fraîcheur, en est multiplié à l’infini. Ses architectures constituent l’apport majeur de Masamichi Yoshikawa à la céramique contemporaine.

Masamichi Yoshikawa s’inscrit dans le profond renouvellement qui bouleverse la céramique japonaise du 20e siècle. En fait, tout commence après la dernière guerre. Dès les années, 1947-48, deux mouvements, Sodeisha et Shikokai , rompent avec la céramique utilitaire et l’esprit Mingei qui prône la mise en valeur de l’artisanat populaire. Les céramistes qui les animent, influencés par l’Occident et notamment la Californie, se tournent vers l’art contemporain et créent le vocabulaire formel d’une sculpture céramique en résonance avec la diffusion de l’art abstrait. A partir des années 70, la céramique japonaise est marquée par le goût de la provocation, les formes organiques, le pop art, et même la culture Manga. Ces créations, qui sont présentées dans les expositions internationales, offrent un nouveau visage de la création japonaise dont les repères traditionnels sont effacés. Les grès et les rakus de la céramique du thé qui ont tant séduit les européens et continuent d’inspirer nombre de potiers, apparaissent figés dans l’académisme. Masamishi Yoshikawa appartient, à un autre courant, qui émerge au cours des années 80, et qui trouve dans la porcelaine une nouvelle manière de concilier la tradition et l’innovation. Il n’est pas issu d’une famille de potiers. Il ne produit pas de la poterie traditionnelle. Néanmoins, il ne rejette pas le passé qui constitue une de ses sources, à coté de la céramique chinoise et des formes nouvelles issues du design. La porcelaine et le céladon sont des disciplines techniques exigeantes. C’est à partir des règles qu’ils imposent, que Masamishi Yoshikawa trouvent les voies de l’émotion et de la sensibilité.Il nous invite à l’accompagner dans cette visite intime de la matière.

Bernard Bachelier

1 Masamichi Yoshikawa cité par Mike Winter Rousset La Revue de la Céramique et du Verre n°162 septembre octobre 2008

2 Masamichi Yoshikawa coté par Tomohiro Daicho dans le catalogue de la Biennale de Vallauris de 2011

3 Masamichi Yoshikawa cité par Mike Winter Rousset,op cité