Camille Virot exposition à la galerie de l 'Ancienne Poste

L’exposition de Camille  Virot à la  galerie de l’ancienne  poste à Toucy d’après ses récentes recherches d’expressivité d’assemblages de matériaux

 

Camille  Virot  nous  démontre une nouvelle  fois sa capacité à se renouveler  à partir  de ce  qu’il  appelle ses « balises » ; il ne cesse en effet d’évoluer sur la base de toujours plus  de  liberté formelle  et  matiériste dans ses expérimentations à partir de rebuts accumulés dans l’atelier. Cette pratique n’est pas  sans  rappeler ces savoir-faire qu’il avait découverts au Mali  avec l’admiration qu’il avait pour les habitats réalisés à partir  des matériaux locaux et de leur recyclage. 

L’exposition porte essentiellement sur des œuvres des années 2020-2024 ; celles-ci nous montrent  des  évolutions particulièrement intéressantes par  rapport ce qui avait été  vu et très  remarqué dans le  même lieu  en 2021, laquelle exposition présentait   en particulier des bols « souvenir d’Onisaburo » et des « bols genèses ».

Nous y découvrons ce qui a fait l’objet de ses recherches récentes pour mettre en valeur les matériaux basiques  utilisés sur la base d’enduits plus ou  moins  aléatoires dénués ou quasi dénués de couvertes  d’émail. Camille Virot a en  effet une  nouvelle ambition, celle  de parvenir à une « expressivité des terres  sans artifice et sans brillance…..pour retrouver dans son  être l’humilité  de la poterie  populaire »[1].

Ainsi ses récents bols  dits « bols de terre » font percevoir une face extérieure mettant en  valeur les traces  et nuances d’enduits des diverses terres utilisées alors que la face intérieure est émaillée.

Camille  Virot revient aussi vers ce qu’il  appelle des « agraires », lesquelles    dans  les  années  1990 étaient recouvertes  d’émail alors que  ces dernières  « agraires » en  sont  dénuées et beaucoup plus libres sur le plan  formel  ;  la texture des matériaux divers  utilisés est mise en valeur tout comme les diverses variétés formelles très  étonnantes : selon  l’angle  de pose à l’horizontal ou à la verticale, nous  avons  des perceptions de la  sculpture très  différentes.

Les récentes  « petites maisons » sont constituées de couches superposées formant une  texture marquée par les  souvenirs des murs  des maisons du Mali, mais aussi dorénavant marquées par des inclusions  ou juxtapositions d’éléments qu’il appelle  exogènes et  contribuant à mettre en valeur l’hétérogénéité et les mélanges de  matériaux divers.

L’aura de ces  sculptures provient de la forte présence du rendu des matériaux  utilisés avec ces rajouts d’éléments exogènes qui se  sont oxydés lors  de la  cuisson ou lors des  superpositions et cuissons successives.

Dans l’optique des mêmes  recherches,  apparaissent des têtes dénuées de tout émail ainsi  qu’une tête en partie enfouie  dans un coussin de terre, le  tout étant  constitué de « techniques mixtes » donnant un aspect formel très différent par rapport à ceux précédemment réalisés sur la base de couches d’émaux plus ou moins  importantes.

De plus, Camille  Virot présente des bols « souvenir d’Onisaburo » et une  nouvelle  série  de boîtes, rappelant qu’il n’a pas abandonné son  aptitude à œuvrer avec des émaux.  

Les  dits bols nous  montrent des juxtapositions de couleurs encore plus  accentuées que précédemment faisant percevoir des traces de la main de façon certes  aléatoires mais témoignant  d’une  maîtrise qui lui  évite de tomber  dans des tendances kitsch.

La nouvelle  série de boites dites « boîtes  lega » est réalisée avec une partie  beaucoup plus  légèrement émaillée  que  les  séries de boîtes précédentes ; les contrastes entre la  légère  couche  d’émail et l’hétérogénéité des  matières  témoignent d’une pratique d’un  faire plus  libre  que jamais dans l’utilisation de rebuts de matériaux et  dans celui de l’émail. Camille  Virot les  appelle « boite lega » car il y  a introduit subrepticement un  « lega », moulage d’un objet  rituel africain lesquels étaient souvent présents dans  ses  boites réalisées dans  les  années 1990.

Cet « art pauvre en  émail » qu’a voulu nous  montrer Camille  Virot dans ces dernières  recherches met en valeur les  qualités intrinsèques des matériaux terre ; il y  faut pour  cela une capacité  de création et  d’innovation    permettant de les métamorphoser sans besoin d’artifices ainsi qu’un rapport avec  son environnement rappelant le propos   de Bruno  Latour : « apprendre  à  rematérialiser de mille  façons  l’appartenance  à la  terre »[2]

Cela  explique aussi l’intérêt qu’il  suscite de longue  date auprès des artistes et  amateurs qui ont cette sensibilité envers les matériaux terre et leur  potentialité  de métamorphose.  Cette  pratique déborde  de façon  radicale les usages  fétichistes des traditions  céramiques, tout en ne cédant pas  aux facilités des effets superficiels que permettent l’usage des émaux et la plasticité du médium terre.

Le catalogue « Camille  Virot,  matières  vives,  mélanges  exogènes,  horizons  cachés » est introduit par une préface du journaliste  et  critique  d’art Manuel Jover et un interview de l’artiste ;  l’auteur souligne la singularité de la  pratique de  Camille  Virot face à ce qu’il appelle « l’enlisement » d’une tendance d’une partie de l’art  contemporain en  matière  de  céramique plus orientée vers l’effet  facile que sur « la  vérité  du  matériau ».

Arnauld de L’Epine

La Motte, 12/11/2024 

[1] cf ARgile  éditions, n° 7  de la  collection « fascicules : « Maisons et urnes  closes …etc , Camille  Virot 2024 » p.52 à propos de la  série « bol de terre » initiée à partir  de 2020 , à paraître.

[2] cf. Bruno  Latour , Qui perd la terre, perd  son âme, Balland, 2024, p.55-56 : « c’est la notion même de « matière » et de « matérialisme » qui se trouve mise en crise par cette nouvelle transformation  cosmologique…Les sciences  de la terre n’ont plus  guère  de rapport avec la  Science du XXème  siècle…..il  faut …apprendre  à rematérialiser de mille  façon l’appartenance  à la  terre »

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Commentaire de Meynet Michel | 19.11.2024

Ce qui me plait c’est que les œuvres portent des noms particuliers. Le fait de donner des noms n’est pas anodin, à mon avis c’est mieux que des numéros ou rien du tout. J’ai longtemps cru que ces ouvrages allongés et composés étaient des « Araires » c’est à dire une version allégée de la charrue primitive, une sorte de bâton fouisseur typiquement africain. En fait ce sont des « Agraires » terminologie spécifique créée par l’artiste…aujourd’hui j’ai tendance à séparer celles qui peuvent se tenir debout de celles qui ne le peuvent pas…il nous en reste trois, deux couchées et une debout, mais pourquoi ces œuvres portent un nom féminin ?….

Commentaire de Carole Andreani | 18.11.2024

Cetta agraire est aussi un objet mysterieux, pas vraiment un "fetiche" mais pas loin. Tout en ayant une signification inconnue de nous, il n'est pas vraiment étrange ayant quelque chose à voir avec le corps, avec l'outil, l'abondance, le poids et le manque. Tres singulier en effet, fascinant...

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