Johan Creten à Sète
Le Centre Régional d’Art Contemporain de Sète consacre une grande exposition à Johan Creten. Noëlle Tissier sa directrice qui va quitter ses fonctions fin 2017, revient sur ses débuts à la Villa Saint Clair qu’elle avait créée en 1988. Johan Creten en fut un des premiers résidents en 1991.
Il avait alors 28 ans. C’était une des premières expositions personnelles du jeune sculpteur belge. Le projet, dénommé, la Quarantaine, consistait à exposer dans les cellules abandonnées du port de Sète. Le lieu n’était accessible qu’en bateau, «une traversée symboliquement très chargée sur le Styx entre vie et mort, vers un lieu connu pour l’isolation des malades et des exclus».
C’est dans cet esprit que Noëlle Tissier et Johan Creten proposent, 25 ans après, sous le titre La Traversée, « un voyage sensible à la rencontre de créatures hybrides, issues d’une nature merveilleuse et inquiétante, aux mystères insondables»
La Traversée, cela peut aussi être interprétée comme le parcours de cet artiste d’origine belge, travaillant à Paris, devenu le plus connu des sculpteurs céramistes contemporains, dont la notoriété est internationale, celui qui a inscrit « la céramique dans l’art contemporain aux cotés de Thomas Schütte et dans la lignée de Lucio Fontana ». L’année dernière, l’exposition Ceramix lui avait consacré un espace monographique.
Que nous apprend l’exposition de Sète?
Elle nous confirme que Johan Creten est un grand artiste, auteur d’une œuvre ample et profonde, où le sens, les formes et la matière jouent une partition en cohérence, d’une grande puissance expressive.
Elle affirme la place centrale de la céramique dans son travail, et ceci par sa capacité à faire parler la terre et les émaux. L’exposition comporte aussi des œuvres en résine à cause de leur monumentalité, et quelques bronzes. Mais les sculptures céramiques ne sont pas des travaux préparatoires, elles sont des œuvres totales, complètes, achevées, par lesquelles il crée et fait passer ce qu’il a à dire. Les matières, la façon de forcer l’argile et les recherches d’émail, constituent une part essentielle de leur expression. Les résines et les bronzes en sont un prolongement, on pourrait dire n’en sont qu’un prolongement. Ceci veut dire que de tous les artistes que l’on rapproche de lui, Creten est le seul à accomplir une œuvre qui, tout entière part de l’argile et la sublime.
L’exposition nous montre aussi la diversité des thèmes abordées par l’artiste pendant ces 25 ans. Les formes récurrentes, les «Odore di Femmina», qu’il s’agisse de torse ou de vulve, que Johan Creten traite sous diverses formes depuis ses débuts, la plus ancienne ici date de 1991, la plus récente de l’année même. Ensuite les sculptures à portée politique, de l’aigle des dictatures de 1993, dénommé, Naissance d’une ombre jusqu’à La Vierge d’Aleppo de 2014-15, ou celles à portée sociale comme les différents façon de traiter le thème des Amants. Johan Creten montre aussi sa connaissance de l’histoire de la céramique et sa volonté de dialoguer avec cette tradition comme le rappellent les glands enflammées de Vallauris de 1995 et les références à Bernard Palissy. Certaines œuvres comme les Drapering de 2014 font plus nettement référence à la plasticité de la matière et les plaques Blue Orchid et Blue Boy de 2015 sont des œuvres d’un peintre des émaux et des cuissons.
La salle présentant les Colonnes (2013) mérite une mention particulière. Tout y est. L’histoire, la nature, le monde animal, les allusions sexuelles et même les socles éléments constitutifs, pour Johan, de l’esprit de la sculpture et qu’il fabrique lu même. Ce faisant, cette salle illustre ses recherches, ses partis pris mais aussi sa personnalité. En effet, la salle, peinte dans un bleu vert renaissance, est ornée de trois tapisseries des Flandres du 16e siècle à décor d’aristoloche, qui appartiennent à Creten lui même. 9 sculptures, datées de 2013, en forme de colonnes cintrées, sont dispersées dans la salle. Elles supportent des boules servant, pour certaines, de perchoirs à des oiseaux, seul, en couple et même en un trio dont le titre, Orgie, est sans équivoque. La composition tout entière est une verdure, le monde de Bernard Palissy, l’esquisse d’un grotte.
La Traversée est aussi un voyage au long-cours à travers les résidences de Johan Creten qui sont, pour lui, des sources d’inspiration, Villa Médicis à Rome en 1996, Manufacture de Sèvres de 2004 à 2007, Université d’Alfred dans l’État de New York en 2013. Ce n’est pas fini. Cette exposition est une étape. Johan Creten prépare d’autres aventures.
Johan Creten, La Traversée, le CRAC 26, quai Aspirant Herber - 34200 SETE, jusqu’au 17 avril
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