Patrice Teulières à Giroussens

Le Centre Céramique de Giroussens a pris l'initiative de rassembler un bel ensemble d’œuvres de Patrice Teulières provenant de son atelier (et qui sont à vendre) et de collections privées. Patrice Teulières ne travaille plus mais il a été associé à la préparation de cette exposition et c'est lui qui a souhaité être accompagné du peintre Jean-Pierre Rodrigo. La grande salle de Giroussens leur est consacrée créant une belle unité, tandis que les petites salles accueillent 26 céramistes qui prouvent ainsi la place que Teulières a occupée pour eux. 

Les œuvres de Teulières sont des grès recouverts d'un engobe noir mat, constitué d'une terre à porcelaine qui vitrifie à la cuisson. Les formes sont  géométriques, massives, architecturées, hiératiques.  Elles ont l’apparence de vases, de bouteilles, de plats, de coupes, de boites, mais aussi de bols ou de théières. Elles portent le nom de ces objets mais en fait, elles s'imposent plus comme sculptures que comme pièces utilitaires. Elles semblent être inspirées de l'Afrique, de totems, de jarres, de maisons, de formes stylisées.

Mais cette description ne donne pas  leur complète identité. Ce qui les caractérise vraiment, ce sont les décors, des dessins profondément creusés dans la couverte épaisse par l'artiste, des stries parallèles, le plus souvent obliques,  qu'il pratique en deux versions, fines ou épaisses, des poinçons rectangulaires faits d'alignements de points ou de petits] cônes.

On ne peut s'empêcher de penser à Pierre Soulages, surtout dans cette région proche de Rodez.Cette proximité pourrait être dérangeante et sans doute, nous a-t-elle troublés lorsque nous passions devant le stand de Patrice Teulières sur les marchés de potiers.  S'en tenir à cette réserve, serait injuste. Et c'est ce que prouve l'exposition de Giroussens.Teulières a trouvé sa personnalité. Il y a dans le domaine de la peinture des imitateurs de Soulages. Aucun ne réussit à retrouver ces noirs généreux qui parlent, qui vibrent et chantent la lumière.  Teulières lui a inventé un noir céramique qui est sa marque. Les noirs de Teulières sont vivants.. Ils ont une profondeur envoutante. Et ce qui donne aux constructions de Teulières, leur force unique, c'est la cohérence, la symbiose des formes et des décors. Elles ne sont pas vraiment des vases, elles ne sont pas non plus des Soulages en trois dimensions,  elles sont des  "Teulières", des céramiques reconnaissables entre toutes. 

Texte de Jean-François Juilliard paru dans la Revue de la Céramique et du Verre ( n° 138 septembre-octobre 2000)

La Revue a déja consacré des articles substantiels à J.M.Prêt, à J.P.Chollet, à P. Geoffroy et à son nouveau four Anagama..... On connaît beaucoup moins Patrice Teulières dont de belles pièces appartiennent cependant depuis longtemps déjà au fonds du musée Bernard Palissy de Lacapelle-Biron et dont, plus précisément, l'actuelle exposition de ce musée, consacrée au thème du décor, nous présente des céramiques tout à fait comparables à celles du Lavoir. Il s'agit toujours avec P.Teulières de grès noirs,drus et massifs : vases, boîtes, coupes, parfois inspirés de l'Afrique, parfois de l'Extrême-Orient, souvent aussi d'un design tout moderne, aux formes amples et fortes, mais d'un profil toujours précis, rigoureux, presque raide, parfaitement découpé dans l'espace, pour certaines pièces, d'une netteté d'usine presque aérodynamique... Ce qui confère à la massivité d'abord un peu âpre de ces formes une sorte de force épurée, une certaine solennité quasiment monumentale. Celle-ci est encore accentuée par le décor et la couleur: ce noir intense d'abord, très austère, minéral, de basalte ou de fonte charbonneuse, tout juste éclairé par quelques reflets mats, argentés ou bleutés; un noir d'opacité, de silence, qui renvoie à l'intériorité, au mystère... On se prend à imaginer quelque somptueuse cuve baptismale romane dans ce matériau à la fois si brut, si natif, et si spiritualisé.
Quant au décor, il est aussi simple, presque élémentaire, sobre et précis que les formes souvent archaïsantes qui lui servent de support. De profondes stries parallèles, régulières et serrées, verticales ou obliques, arpentent la surface des objets à la manière de profonds labours (on évoque aussitôt les fameuses ardoises gravées de Raoul Ubac), ou sont parfois stoppées par un champ clos carré, frappé comme par un coin industriel, tout piqueté de petits points saillants évoquant tantôt la grille d'un judas maure, tantôt de mystérieux alignements préhistoriques, ou encore, à une autre échelle, quelque sceau impérial ou sacré. Toute l'âme de l'artiste transparaît dans ce type de poinçonnage magique! Archaïsme et modernité subtilement entremêlés, cartésianisme et primitivisme étroitement fondus dans une œuvre où l'esprit de silence et de méditation finit par imposer une grande sérénité aux sourdes puissances telluriques de toujours.
Un grand bravo au Lavoir pour cette révélation parisienne d'un artiste trop discret. Jean-François Juilliard

RCV n° 138, sept.oct. 200