Les artistes de l'exposition Valeur Refuge

 

 

 

 

Frédéric Bodet a bien voulu nous transmettre le texte de présentation de l'exposition Valeur Refuge. Nous le mettons à la disposition des lecteurs. La présentation du thème est éclairante. Le thème illustre une des facettes souvent évoquée, de l'art céramique, celle de son pouvoir de transmission des émotions. Voici le texte, qui contient des informations intéressantes concernant les artistes exposés.

VALEUR REFUGE

Beauté. Humilité. Céramique.

Qui ne rêve de se constituer un « refuge », un lieu à soi pour mettre le monde à distance? Certes, nous sommes habitués chaque jour davantage aux nouveaux paradis artificiels issus de la technologie, qui accélèrent notre rythme de vie et incitent à la consommation frénétique. Mais nous ressentons dans le même temps le besoin grandissant de recréer autour de nous les conditions d'un confort plus juste, raisonné à partir de nos véritables besoins, un foyer conçu sans superflu, qui permettrait d’échapper - ne serait-ce qu’un moment - à la course contre le temps et à la pression des modes passagères…

Les artistes invités dans Valeur Refuge cherchent à jeter un pont entre hier et aujourd’hui, en proposant des oeuvres énonciatrices des valeurs montantes de pérennité, d'authenticité et de simplicité émergeant actuellement dans le discours de l'art et du design. Inspirés par la nostalgie du monde rural et par  les archétypes issus des premiers temps de l'industrie, ils nous font partager leur émotion viscérale à l’égard de formes simples et puissantes, empruntes de l’histoire des hommes ou de nos propres souvenirs de maisons de campagne ou de fabrication artisanale. Des formes conçues au plus proche de leur fonction et pour un usage à long terme, sur lesquelles l'usure du temps peut laisser harmonieusement sa trace, en y ajoutant même une plus-value spirituelle... Les oeuvres proposées dans Valeur Refuge sont toutes imprégnées de références ancestrales et d’une certaine rudesse primordiale. Elles constituent un vibrant plaidoyer pour un environnement artistique inspiré par l’art populaire, « rustique » dans le sens le plus positif et le plus bucolique de ce terme, c’est-à-dire fait d’objets accessibles, liés à l’intelligence de la main et au bon sens pratique, en symbiose avec la nature.

L'exposition Valeur Refuge, initiée par la Fondation Bernardaud, présentée une première fois à Limoges du 24 juin au 31 décembre 2012, est reprise aujourd'hui au musée de Sèvres, dans un cadre et une configuration très différente, afin de faire entrer à nouveau en dialogue émotionnel huit céramistes de grand renom, venus des Etats-Unis, d'Allemagne, de Finlande, des Pays-Bas et de France. Présentés, pour six d’entre eux, pour la première fois en France, ces artistes font ressentir à quel point la céramique - sans doute mieux qu'aucun autre médium - a une capacité particulière à véhiculer l’expression du temps qui passe, à transmettre des valeurs de réconfort et d’humilité, tout en faisant pénétrer un peu des forces de la nature au sein de nos foyers, au cœur de notre quotidien. Avec en filigrane, un éloge de la lenteur et de la contemplation...

Commissaire : Frédéric Bodet, chargé des collections modernes et contemporaines à Sèvres-Cité de la Céramique.

Artistes présentés:

Kerstin Abraham, née en 1956 à Berlin (Est), vit à Hamdorf (Allemagne). Docteur en théorie de l'art à la Humboldt Universität de Berlin. De 1985 à 1989, formation à la céramique auprès de la sculpteur-céramiste allemande Gertraud Möhwald. Enseigne depuis 1994 à la Muthesiushochschüle de Kiel. Après un premier séjour en 1998 à l'European Keramiek Working Center (EKWC) de S'Hertogenbosch (Pays-Bas), Kerstin Abraham, revenue en 2010 faire une nouvelle résidence de trois mois y a réalisé plusieurs œuvres présentées dans Valeur Refuge : son installation intitulée Über Malerei (Sur la peinture) est constituée de 9 plats ovales (9 tons de blanc) aux dimensions exceptionnelles (chacun mesurant 1m de largeur !), qui s'inscrivent dans un environnement spécifique inspiré par les œuvres de Wilhelm Hammershoi (1864-1916), l’un des chefs de file de la peinture danoise moderne, célèbre pour ses descriptions d'un univers domestique confiné et énigmatique, aux tonalités austères.files/les_images/images_articles/IMG_9038 [640x480].JPG L’artiste présente également un ensemble de contenants surdimensionnés en faïence émaillée, évoquant les anciennes soupières ou verrières, dont les dessins proviennent  d’une autre œuvre également présentée: Musterbuch, dessins originaux sur papier journal. L’ensemble résume l’instinct du foyer et la frugalité d’un confort rustique. Son travail est présenté pour la première fois en France.

 

 

 

 

 

Ruth Borgenicht, née en 1967 à New York, vit dans le New Jersey (USA).files/les_images/images_articles/IMG_9084 [640x480].JPG Diplômée en mathématiques à la Rutgers University, son éducation artistique s’est faite à travers livres et résidences d’artistes,  dont le Hunter College à New York. A été récompensée en Europe lors de la Biennale internationale de céramique de Faenza (Italie) en 2007. Enseigne à l’école d’art de Old Church (New-Jersey). Les questionnements sur la permanence des choses, la résistance ou la force intrinsèque des objets, sont au centre des préoccupations de Ruth Borgenicht. La reconnaissance de son travail a été rapide, grâce à l’originalité structurelle de ses volumes : elle choisit en effet de « tricoter » l’argile pour réaliser des œuvres « souples » aux positionnements variables, faites d’une intrication d’anneaux en grès moulés de différentes tailles, selon des rythmes organisés symétriquement, avec des variations colorées subtiles. La cotte de maille métallique médiévale, portée sous l’armure des chevaliers du Moyen-Age comme protection corporelle, constitue son modèle d’inspiration. Ses plus petits objets-sculptures de table sont souvent circulaires ou reprennent diverses structures de paniers. Les pièces murales représentent des paysages ou des espaces architecturaux. Ruth Borgenicht aime donner un aspect minéral à la céramique, et contredire sa réputation de fragilité. Mais, malgré cette apparente robustesse et un aspect « défensif », ces formes instables témoignent de la complexité et de  l’extrême patience de leur réalisation. Son travail est présenté pour la première fois en France.

 

 

 

Ted Neal, né en 1967 près de New York, vit à Muncie, Indiana (USA). Formé au sein de trois universités, dans l’Illinois, l’Utah et l’Idaho, de 1991 à 1998. Actuellement professeur en charge du département céramique de la Ball State University de Muncie (Indiana). Ted Neal est un artiste-chercheur ingénieux, curieux des aspects techniques de son art, expert dans la construction de fours à bois, à gaz ou électrique, Il transmet ses expériences lors de nombreux workshops aux Etats-Unis.files/les_images/images_articles/IMG_9064 [640x480].JPG Fasciné par l’archéologie industrielle, il s’inspire de friches industrielles abandonnées, de silos et containers jalonnant les routes américaines, ou encore d’anciennes pièces mécaniques, pour réaliser des objets sculpturaux en grès qui sont également destinés à l’usage domestique, dans un étonnant trompe-l’œil avec la fonte ou le métal rouillé. Il a expérimenté d’autres techniques parmi lesquelles la soudure ou la fonte du métal, le moulage et le soufflage du verre, qui lui ont permis d’associer à ses objets d’autres matériaux comme le métal ou le béton. Ses œuvres constituent une critique de la production de masse, interrogent la nature de nos besoins réels ou provoqués par la société de consommation. De leurs formes très rigoureuses émanent une sensibilité mélancolique, liées au fait que textures et colorations semblent la conséquence de la patine du temps qui passe. Des objets qui, comme nous, ont un âge, une histoire…Son travail est présenté pour la première fois en France.

 

 

 

Pekka Paikkari, né en 1960 à Somero, vit à Talma (Finlande). Formé à la Design Academy de Kuopio, à l'Ecole Polytechnique de Turku en Finlande.files/les_images/images_articles/IMG_9062 [640x480].JPG A enseigné pendant plusieurs années au sein du département verre et céramique de l'Université d'Art et de Design d'Helsinki. Depuis 1987, il est designer à la manufacture finlandaise de porcelaine Arabia. Parallèlement au design, un pan essentiel de l’activité de Pekka Paikkari est lié à la sculpture, en pièces uniques généralement de grandes dimensions, qui semblent inspirées des superbes forêts de son pays. Ses textures particulières sont faites d’un mélange de terres et de tessons, briques ou matériaux de constructions incorporés et transformés par une nouvelle cuisson, avec une  recherche de coloris neutres évoquant de larges surfaces craquelées ou brûlées qui semblent résulter de conditions atmosphériques extrêmes. Un magma plein d'accidents emprunt d'une réflexion autour des traces du labeur humain. Sont présentés aussi dans Valeur Refuge ses accumulations de tessons de poteries quasi fossilisées et «reconstituées » comme si elles provenaient d’excavations archéologiques.Des œuvres de Pekka Paikkari sont présentes dans les collections du Victoria & Albert Museum de Londres, du musée d'Art et de Design et du Arabia Ceramic Museum d'Helsinki, dans les musées de céramique de Faenza (Italie), Barcelone (Espagne) et Shigaraki (Japon). Sa dernière exposition en France remonte à 2001.

 

Hervé Rousseau, né en 1955 à Taverny, vit à Boisbelle, Henrichemont (France). A commencé son apprentissage de potier près de Paris, puis dans le sud de la France chez Jacky Covillé, puis au Québec (Canada). Hervé Rousseau est installé depuis 1981 près du village de potiers de La Borne, dans le Berry. Il est aujourd’hui l’un des potiers-sculpteurs français les plus reconnus internationalement, particulièrement apprécié pour la puissance et la virtuosité de son expression avec le grès. Il cuit ses pièces à pleine flamme dans un immense « four couché » à bois Noborigama, qu’il a construit lui-même à partir d’un modèle japonais ancestral.files/les_images/documentation/artistes/Valeur refuge/IMG_9027 [640x480].JPG

Son inspiration est imprégnée par ses voyages et emprunte à des traditions locales autant qu’exotiques : les productions traditionnelles du Berry et de la Puisaye, la poterie médiévale anglaise, la céramique africaine, les grès anciens japonais de Bizen… Tournées et modelées avec vigueur, ses pièces uniques se déclinent en séries confortant au fil des années un vocabulaire esthétique aisément identifiable[: jarres « Pieds d’éléphants », plats « Grands lacs », hautes sculptures abstraites très « corporelles[» évoquant pour les plus récentes des bustes de scribes assis… D’une habileté remarquable, Hervé Rousseau sait améliorer le quotidien de sa vie rurale : tel l’atelier qu’il s’est bâti en récupérant des caisses de bois, ou bien encore une majestueuse «]table-paysage » de jardin conçue à partir d’anciennes poutres renversées sur ses « Pieds d’éléphant» en grès. A l’image de son énergie vitale et de son imagination bucolique…

 

Robert Winokur,né en 1933 à New York, vit à Philadelphie (USA). Diplômé en 1958 d’Alfred University (Etat de New York). A enseigné de 1966 à 2005 à la Tyler School of Art (Temple University) de Philadelphie. Robert Winokur a installé avec son épouse Paula Winokur, également céramiste, dans les années 60 un premier atelier orienté vers l’utilitaire. L’un comme l’autre dirigeront ensuite leurs activités vers la sculpture.files/les_images/images_articles/IMG_9082 [640x480].JPG L’artiste est fasciné par l’approche obsessionnelle que les enfants entretiennent avec leur maison, réelle ou rêvée, qu’ils aiment redessiner constamment. L’exubérance et la spontanéité de leurs représentations l’ont inspiré pour concevoir ses propres sculptures-maisons, dont les lignes géométriques strictes sont influencées par des conceptions cubistes, mais rompues souvent de détails figuratifs apportant une suggestion narrative, sans dissiper le mystère de leur interprétation. D’une couleur gris anthracite évoquant le métal rouillé ou la fonte, ses « Houses » sont fantasmées à partir des différents modèles de fermes américaines. Elles évoquent par leur échelle distanciée des représentations mentales, chargées d’un aspect introspectif plutôt sombre, non dénuées même d’une certaine menace dans leur poésie austère, auréolées de symbolique mystique. L’œuvre de Robert Winokur a été soutenue par la célèbre galeriste Helen Drutt à Philadelphie dès les années 70 et jusqu’en 2003 (fermeture de la galerie) et figure dans de prestigieuses collections privées et des musées américains. Elle figure dans de prestigieuses collections privées américaines, et dans les musées de Philadelphie, Houston, Los Angeles, ainsi qu’en Chine et au Boymans-Van-Beuningen Museum de Rotterdam (Pays-Bas).Son travail est présenté pour la première fois en France.

 

Piet Hein Eek, né à Purmerend, près d’Amsterdam, en 1967. Diplômé de la Design Academie d’Eindhoven en 1990. Vit et travaille à Geldrop, près d’Eindhoven (Pays-Bas). C’est en réparant son propre environnement domestique que Piet Hein Eek a dégagé pour son entreprise une philosophie créative liée aux contraintes techniques et financières, afin de pouvoir s’autoproduire.files/les_images/images_articles/IMG_9056 [640x480].JPG Atypique au sein de la nouvelle génération de designers néerlandais, il œuvre en dehors du circuit de la production de masse, utilisant essentiellement de vieux matériaux de récupération, particulièrement le bois. Sa devise pourrait être: créer le maximum avec le minimum… La société Eek & Ruijgrok BV a grandi au point de s’implanter dans l’ancien bâtiment industriel Philips près d’Eindhoven, où toutes ses activités de production et de diffusion sont déployées sur près de 10.000 mètres carrés, devenant l’un des lieux de référence pour la scène du design néerlandais. Exposé et vendu dans le monde entier, son mobilier est reconnaissable à son système constructif simplifié, d’apparence rugueuse, souvent réalisé en patchwork de bois à patines multicolores, motif qui lui a inspiré également un papier peint « Scrapwood » en trompe-l’œil, fabriqué de façon éco-responsable aux Pays-Bas. Son approche de la céramique est très ascétique, avec des grands vases, aiguières ou larges coupes parfaitement dessinées, déclinées en couleurs neutres, qui rappellent l’austérité et la noble élégance des objets de table médiévaux en fer ou bronze.