Jean-Jacques et Bénédicte Wattel, collectionneurs des années 40,50,60.

 

Le musée de la Faïence de Sarreguemines en 2013, puis le musée d'art moderne de Troyes jusqu'au 6 avril 2014, ont présenté la collection personnelle de Jean-Jacques et Bénédicte Wattel. L’exposition et le catalogue sont l’occasion de découvrir des œuvres remarquables, rassemblées depuis 20 ans hors des sentiers battus. Bénédicte Wattel a choisi une présentation qui réunit des oeuvres diverses par expressions, formes et couleurs. Cette présentation rapproche des artistes connus d'artistes moins célèbres. Elle suscite la curiosité et la réflexion. C'est aussi l'occasion de découvertes.

Bénédicte et Jean-Jacques Wattel ont réalisé le catalogue eux mêmes en totalité. Il s'intitule "Mission Céramique, collection Jean-Jacques et Bénédicte Wattel" , éditions Louvre Victoire, 416 pages. Il fourmille d'informations et propose des correspondances, au sens baudelérien, inédites. Un ouvrage que tout collectionneur devrait avoir dans sa bibliothèque.files/les_images/documentation/collectionneurs/Wattel/IMG_9492 [640x480].JPG

A lire ci dessous, le texte paru dans le numéro 191 de la Céramique et du Verre, de juillet-août 2013, pages 58 à 62. ( L'article publié était illustré d'autres photographies, les photographies figurant sur ce site sont de l'auteur).

 

 

 

 

 


 

 

 

La collection Wattel : un autre regard sur les années 50s

Découvrir la collection de céramiques de Jean-Jacques et Bénédicte Wattel ouvre de nouveaux horizons sur la création  du milieu du 20e siècle, qui témoignent d’un goût indépendant et d’une patiente recherche d’objets choisis pour leur qualité plus que pour leur notoriété.  Cette période de l’histoire des arts décoratifs n’a pas encore révélé toute son amplitude. Au  cours des années 90,  Pierre Staudenmeyer  avait commencé un  travail d’exhumation. Son ouvrage, « la céramique française des années 50 »(1) livra un premier recensement et fournit aux amateurs des références, jusqu’alors confidentielles. Il a suscité une génération de collectionneurs. L’emballement qui suivit sa parution, accompagnait un retour nostalgique vers cet après- guerre, devenu une période de bonheur perdu.  Mais, au cours de la dernière décennie, le regard des amateurs  est devenu plus exigeant. Ils ont pris conscience de la banalité d’objets facilement accessibles sur le marché. Les œuvres  de qualité sont rares.  La présentation publique de la collection Wattel  va constituer une nouvelle étape dans l’évaluation de cette période fertile de la création céramique, car elle ne respecte pas la hiérarchie communément admise – Jouve, Ruelland, Chambost… - et comporte des pièces exceptionnelles.

Apprendre en collectionnant

La collection a été constituée au cours des 20 dernières années. Jean-Jacques Wattel, qui s’ennuyait dans sa carrière de jeune ingénieur  dans l’agroalimentaire, avait ouvert une galerie, consacrée au 20e siècle, en 1985, rue Saint Honoré en face  de l’Oratoire. Cette proximité du Louvre le plaça dans le circuit de détente des conservateurs du musée. Mais la curiosité ne suffit pas. Il eut le talent d’attirer les meilleurs et de susciter la sympathie de Daniel Alcouffe (2) de Pierre Ennès et d’Amaury Lefébure (3). Et bientôt,  c’est Antoinette Hallé qui poussa la porte. La rencontre fut fructueuse. Elle le prit sous son ombrelle et lui donna accès à sa documentation et aux réserves de Sèvres. Avec de tels parrains et marraine, la formation sur le tas prend une autre dimension.  Encore faut-il savoir en tirer parti. C’est alors, grâce au musée de Sèvres,  que  Jean-Jacques Wattel se forgea une idée de la qualité en céramique et de l’exigence de rigueur.  Le jeune marchand se mue en expert et en collectionneur. 

La  collection qui sera présentée à Sarreguemines est le résultat de choix faits en commun par Bénédicte et Jean-Jacques Wattel. Ils se sont mariés en 1992. Bénédicte Blondeau est issue d’un milieu attaché à l’architecture, au mobilier et aux arts décoratifs, où domine le classicisme. Son univers est celui du château de Boussac dans la Creuse et de la tapisserie d’Aubusson où sa famille possède une manufacture. Est-ce  la médiation de créateurs, comme  Gérard Garouste,  qui  dessinèrent des cartons de tapisserie, qui l’amena vers les arts décoratifs du 20e siècle ?  Toujours est-il  la céramique devint la passion commune du couple. Bénédicte est aussi une spécialiste, tout  en restant attachée à ce passé récent, sans attirance pour les contemporains. En 1996, Jean-Jacques Wattel a cédé le magasin et s’est consacré à son métier d’expert pour lequel il garde la raison sociale de la galerie Louvre Victoire. Il est aujourd’hui le responsable du département des arts  décoratifs du 20e  de l’étude Tajan.

Une telle collection est le fruit d’un œil toujours aux aguets et d’une sélection permanente. Les pièces surgissent, séduisent, s’imposent. Certaines s’installent, d’autres s’estompent. Le travail de collecte continue. Le couple continue d’acheter et rarementde revendre. C’est, d’ailleurs, un atout des collections privées. Pour l’approvisionnement de la galerie, Jean-Jacques Wattel a fréquenté les déballages de professionnels, notamment ceux du midi de la France, où il était possible, alors, de faire des découvertes. Le métier de marchand, puis celui d’expert, donnent accès à des sources privées. Ainsi, Pierre Ennès lui fit connaitre la famille de Denise Gatard, la sœur de Georges Jouve, disparue en 1992. De cette rencontre, provient la table de Jouve, morceau de bravoure de cet artiste ;  Et puis, il faut savoir saisir les occasions comme, au Pavillon des Arts et du Design,  en 2008, ce vase de Francine Delpierre,  retrouvé par Guillaume de Casson chez les héritiers de Charles Gervais qui avait exposé cette artiste dans sa galerie MAI (pour Meuble, Art, Industrie), rue Bonaparte durant les années 50. La douceur de l’émail beige et la subtilité du décor expriment  la sensibilité et le talent intemporel de cette céramiste mythique.

Des critères se dégagent : la qualité esthétique, la maitrise technique, la place de l’œuvre dans la production de l’artiste, son caractère d’œuvre à-part ou portant un témoignage historique. Ainsi, l’Homme au poisson  (1961) de François Raty, occupe une place essentielle dans le parcours de Jean-Jacques Wattel. Il ne lui appartient plus, ayant été acquis par le Musée de Sèvres mais il est reproduit dans la monographie de Jean Derval (4). C’est cette statue qui était portée en 1961, à Vallauris, lors de la procession inaugurale de l’exposition « l’enterrement de la pièce unique ». Sa haute taille - 2,10m - son allure hiératique n’en font  pas une œuvre  qui incite à la familiarité. A l’époque personne ne s’était porté acquéreur.  C’est aujourd’hui une sculpture en céramique majeure. Elle constitue une sorte de mélodie d’ouverture de la démarche des Wattel.  Les œuvres rassemblées évitent le travers de l’objet décoratif qui constitue un des risques majeurs de la céramique de cette période.

La singularité d’œuvres hors normes

Jean Derval y occupe une place de choix. Ses sculptures, telles que le Fauconnier et l’Archer ou Saint Georges terrassant le dragon,  donnent une nouvelle interprétation de la tradition figurative française où se mêlent les références médiévales et les racines religieuses. Cet univers porte une puissance évocatrice et poétique : « une céramique de Derval est un lieu de rencontre entre une monographie historicisante et un traitement relevant d’un néocubisme assumé. Le tout est soutenu par une économie générale puissamment hiératique pouvant confiner à l’abstraction »  (4). Autour de Derval, la collection butine vers les artistes qui représentent deux des sources d’inspiration majeure de l’époque.  D’un coté la tradition populaire de la Borne et de la Puisaye avec une série de Lerat précoces et figuratifs,  avant le saut vers la création sculpturale de Jacqueline Lerat ; de l’autre la recherche formelle des ateliers azuréens, qui se positionnent d’une manière ou d’une autre par rapport à Picasso. Il faut accorder à Suzanne Ramié la reconnaissance qu’elle mérite et dont elle ne bénéficie pas encore. Responsable de l’atelier Madoura où travaillait Picasso, elle était la mieux placée pour comprendre l’œuvre du maitre, mais aussi pour mesurer les risques que cette proximité faisait peser sur sa propre création . Elle s’en dégagea grâce à la rigueur de sa production, la simplicité de ses formes et la qualité de ses émaux.  Quelques pièces monochromes  illustrent cette recherche formelle.  

La céramique de la Cote d’Azur se rattache aussi à la tradition utilitaire provençale. Robert Picault a fabriqué les clichés de l’époque, mais à côté de cette production en série, il a produit quelques pièces personnelles exceptionnelles par la taille et la qualité de l’émaillage, comme celles trouvées par Jean-Jacques Wattel  qui deviennent emblématiques. En revanche, d’autres pièces relèvent d’une intention artistique. Deux œuvres de la collection témoignent de la liberté créatrice  et du rattachement de l’art céramique aux courants stylistiques d’alors, un vase des Archanges, nom de l’atelier de  GilbertValentin et de sa femme Lilette, et une sculpture du trio, André Borderie, Pierre et Vera Szekely. Des pièces de volumes généreux et des émaux  aux couleurs affirmées qui renvoient à l’univers de Miro. Ces pièces demeurent des volumes. Elles sont bien des poteries. La matière est présente. Mais elles sont des œuvres d’art à part entière. 

Ainsi se dégage un regard sur  cette céramique de l’après guerre. Elle a rompu avec l’art déco. Elle trouve son inspiration, plus dans la poterie traditionnelle du grès ou de la faïence  méditerranéenne que dans la virtuosité de la porcelaine. Elle communie avec les courants de la peinture et de la sculpture de  l’époque. La France en est, pour quelques années encore, le centre de gravité. Elle ignore le japonisme  comme les innovations californiennes à la Voulkos ; ce sera la rupture des années 70 et 80. La collection Wattel montre cette tranquillité, cette liberté, cet art épanoui qui puise aux différentes sources.  Elle  montre des œuvres qui ont un sens, des œuvres pour lesquelles l’artiste a cherché à se dépasser.  L’exposition sera accompagnée d’un ouvrage, qui sera plus qu’un catalogue, puisqu’il présentera une analyse critique de cette période et comportera un panorama des artistes. Ce livre devrait permettre d’apprécier le jugement que Jean-Jacques  et Bénédicte Wattel  portent sur cette période et constituer une nouvelle référence pour les chercheurs et les amateurs.

Bernard Bachelier

 

1 éditions Norma  Paris 2001

2 directeur du département des objets d’art du Louvre du 1982 à 2004

3 qui signa avec Daniel Alcouffe «  le mobilier du Louvre » en 1998 aux éditions Faton

4 Jean Derval Céramiste et sculpteur, Patrick Favardin, Jean-Jacques Wattel  Norma Editions 2011

Céramiques 40s, 50s, 60s la collection Jean-Jacques et Bénédicte Wattel

La collection a été présentée au Musée de la Faïence de Sarreguemines en  2013

puis au Musée d’art moderne de Troyes, jusqu’au 6 avril 2014