Jean-Paul Azaïs

 

Article paru dans le numéro 199 de la Revue de la Céramique et du Verre

 

Poésie des vernis naturels d’argile

 

Jean-Paul Azaïs produit, des œuvres aux formes simples et au décor de feu, que l’on nomme, sans être trop sûr, terre enfumée ou sigillée. Or, Jean-Paul Azaïs a publié le récit de ses recherches et de ses découvertes. Le rencontrer, livre en mains,  aide à mieux comprendre l’origine de son engagement et le sens de sa démarche, mais aussi de pénétrer les secrets des vernis d’argile. 

 

Deux forces l’animent et se fécondent, celle de l’enracinement, dans une terre et dans une culture, et celle de l’esprit de recherche, de l’observation et de la compréhension des phénomènes biologiques et chimiques. Jean-Paul Azaïs est issu d’une famille de bouchonniers de Llauro, village de l’Aspre, région escarpée de la Catalogne française, qui domine la plaine du Roussillon. C’est le terroir des chênes-lièges, ces arbres tortueux, au feuillage clair, qui dessinent le paysage et semblent provenir du fond des siècles. Ces arbres sont aussi des êtres vivants qui offrent leur peau. Leur exploitation est un dialogue, fait de compréhension et de respect des cycles naturels. Et la fabrication des bouchons est une école de précision. L’écorce que l’on prélève est déjà une matière, qu’il faut façonner. Jean-Paul Azaïs est en communion avec cet univers. Il est un chêne-liège parmi les chênes-lièges. Il  a installé son atelier et sa maison, non loin du village, sur un terrain pentu, que cultivait son grand-père. Aujourd’hui, sa place, ici, s’impose comme une évidence. Mais ce fut, à un certain moment, un choix de vie.   

 Jean-Paul Azaïs est né en 1952, à Perpignan, où il a fait ses études secondaires, puis étudié la géologie et la biologie à l’université. Bientôt, il rejoint la faculté de pharmacie de  Montpellier où il obtient son diplôme en 1978.  Il n’a jamais vraiment pensé s’installer en officine, mais il aurait pu se lancer dans une carrière de chercheur. Son goût pour la botanique et la chimie lui en donnait les atouts.  Mais dès 1971, il avait croisé des pots provenant de l’atelier de Lou Combres et commencé à manipuler la terre.  Son intérêt pour la culture catalane, le plonge  dans la poterie traditionnelle : « l’apogée de cette quête eut lieu avec la découverte de l’atelier de Lluis Cornellà à La Bisbal ».  C’est ainsi qu’en 1981, en accord avec Claudine, son épouse, il décide de se lancer dans le métier,  au lieu dit Els Clots, qu’ils habitent toujours, autant qu’il les habite. Il n’a pas, pour autant, renoncé à la démarche scientifique et c’est avec un esprit de chercheur qu’il mène depuis plus de quarante ans ses relations avec la terre. 

Stylisation des formes

Son œuvre est l’œuvre d’une vie et son livre, le bilan de ses recherches. Toutes les pièces qu’il a façonnées sont lisses.  Elles sont animées – il n’aime pas qu’on parle de décor – d’un graphisme alternant l’ombre et la lumière, la tache et le vide, la présence et l’absence. La palette des couleurs, décline les gris et les ocres, auxquels, s’ajoutent, de façon plus inattendue, des verts,  des bleus et des éclats métalliques.  Il a créé soixante-quinze modèles différents, il les a comptés. Ils sont inspirés par des formes, que l’on peut observer dans la nature, coing, grenade, bolet, pavot,  figue, œuf, cocon, calebasse, tronc, bourgeon,  roseau, en ou bien elles font référence à la poterie méditerranéenne, cruche, aryballe,  pyxide, et  surtout la jarre, qui est, depuis ses débuts, son volume préféré.  Les pièces portent le nom de ce qui les a inspirées. Parfois, cependant le titre est la description littérale de l’objet, Boule, Triangulo, Flèche, Anneau, Buche. Les noms, à la poésie rêveuse, désignent tout un peuple sorti  de ses observations, de son imagination  et de ses mains. Les lignes sont réduites à l’essentiel. Il ne copie pas. Il crée. Il le dit « j’aime les formes simplifiées, j’essaie de trouver une silhouette simple et pure, de conserver l’essentiel de la ligne et d’aller plus loin». En fait, il invente un monde nouveau, une autre réalité qui parle mieux du réel que si elle en était la reproduction.

On pourrait construire l’arbre généalogique des pièces. « Les formes génèrent d’autres formes ». LeTriangulo, tantôt couvercle de Jarre, tantôt autonome,  se retourne, pour donner naissance à  une nouvelle Jarre aux lignes droites de cône inversé. Les sources aussi  se croisent. Lors de ses prochaines expositions, il va exposer des Nids et des Bols. Le Nid est une évocation lointaine des nids d’oiseau. Il en a  collecté plusieurs dans les haies, dont il médite la conception.  Au fond qu’est ce qu’un nid ? Un creux, le creux d’une main, construit pour protéger les œufs et les oisillons. Mais le centre du nid, le contenant est identique à la partie basse d’une calebasse, une calotte. C’est, en fait, celle d’un bol. Les Nids de Jean-Paul Azaïs sont des bols placés au cœur d’une grand vase. Le vase est relié à la coupe centrale par un aplat. Cette surface plane  et la paroi externe agissent comme un système défensif et protecteur. L’esprit du modèle est réinterprété par un détour presque conceptuel.   Chez Azaïs, il faut aussi prendre le temps d’observer les détails, comme cet aplat. Ils sont précis et justes. Modestement, il évoque l’exigence des bouchonniers : «  le travail bien fait, la découpe, le ponçage, le paraffinage ». En fait, pour chaque objet, il élabore une méthode de fabrication qui privilégie le point le plus délicat. Ainsi, le façonnage des Nids commence par le tournage sur une demi-sphère d’argile, de la plaque et de la coupe à l’envers, à partir d’une unique masse d’argile, qui produira une sorte de grand couvercle à rebord. Grâce à ce procédé, la surface et les angles seront d’une parfaite exactitude.  La mise au point est précédée de réflexion et d’essais. Il anticipe la façon dont les objets seront perçus et touchés. Ainsi, beaucoup de ses pièces sont dotées d’un bouchon. Mais ses bouchons possèdent un jambage suffisamment long pour qu’ils ne glissent pas lors des manipulations. Ce soin du détail n’est pas un obstacle trivial à l’appréciation des créations. Au contraire, il libère le regard qui peut se laisser aller à la contemplation artistique.

files/les_images/documentation/artistes/Azais/Nid transparent. Photo JP Azais.jpgAu cours de cet été 2014, l’ami des formes ventrues, s’est lancé dans la production de bols, à l’instigation de Denis Goudenhooft qui les exposera prochainement à Martot. Le bol ne fait pas partie de son vocabulaire familier. Azaïs est un méditerranéen. Le bol à thé et son attirail japonisant n’appartiennent pas à sa culture. Mais l’aventure des Nids a montré que le bol pouvait aussi être engendré par la calebasse. Ses Bols seront donc des coupes sans pied et sans relief. Leur volume pourrait les rapprocher des Song, mais leur douce courbure les en distingue sans connivence possible.  Ce que veut Jean-Paul Azaïs, c’est que l’on puisse les tenir dans la pomme de la main et les caresser. Et surtout, les lire comme autant d’esquisses de son vocabulaire pictural. Car, la façon de traiter la surface et de la dessiner est essentielle dans sa conception de l’art céramique.

 

Comprendre les vernis

La mise au point des couvertes est le fruit d’une recherche de longues années. L’ouvrage « Un chemin de terre et de fumée » est le récit de cette quête. La couverte de Jean-Paul Azaïs est un vernis naturel d’argile. Il s’agit d’une argile diluée dans de l’eau pure et lévigée une ou plusieurs fois dans des tuyaux d’au moins vingt cinq mètres de long. « La lévigation est une décantation concomitante d’un déplacement linéaire à faible pente dans un flux d’eau ». Au cours des séquences de lévigation, Jean-Paul Azaïs prélève les composants les plus fins. L’objectif est d’obtenir une matière la plus homogène possible, évitant les craquelures, adhérant au tesson sans risque de décollage, séquestrant efficacement le carbone lors de l’enfumage, facile à polir  et grésant légèrement à la cuisson. Les argiles doivent être choisies en fonction de leurs façons à réagir à ces traitements. Jean-Paul Azaïs est maintenant en mesure de préparer toute une gamme de vernis et d’engobes qui constituent le nuancier de sa palette. Ainsi, il joue sur la teneur en fer pour doser le pouvoir colorant. Mais il ajoute « j’améliore parfois d’autres compositions de vernis préalablement lévigés par ajout stabilisateur de décoctions » de différentes plantes. « De telles préparations présentant de légères propriétés colloïdales, m’apportent le raffinement de multiples translucidités, luminosités et douceurs tactiles insoupçonnées ». Ce processus de production évite de recourir à la défloculation à base de silicate de soude qu’utilisait Pierre Bayle et qu’emploient de nombreux céramistes.

 L’élaboration de cette méthode  résulte de l’observation des phénomènes naturels. Il est probable que l’attention et la compréhension des mécanismes sont favorisées par l’amour atavique que Jean-Paul porte à ce milieu. Il est en communion avec ce terroir. Mais, l’intuition ne suffit pas. « Il m’est insupportable de ne pas comprendre. On va sur la lune et on ne sait pas préparer un vernis à la manière antique». Il a une démarche de chercheur et sa formation scientifique l’ont beaucoup aidé. C’est ainsi qu’il a aujourd’hui son interprétation des vernis des sigillées gallo-romaines, cohérente avec les analyses récentes des laboratoires du CNRS. Le tesson des céramiques  sigillées est fait d’une argile très fine. Elles ne peuvent être fabriquées que par moulage et elles ne sont pas polies. Ce qui parait cohérent avec l’industrialisation de la production confiée à des esclaves. Les vernis sigillés contiennent une grande quantité de potassium qui, normalement soluble, devrait migrer dans le tesson. Ces pots  devaient probablement  recevoir deux couches de vernis enrichi en potassium. C’est la pose d’une deuxième couche de vernis, saturé en potassium et contenant un léger excès de tanin,  qui va attirer et retenir le potassium en surface  et stimuler la vitrification.  Les tanins sont obtenus par extraction aqueuse à partir de débris végétaux. Mais cette technique  se prête mal  à la cuisson de pleine flamme. Les sigillées étaient cuites à l’abri du feu. Le vernis est d’un rouge corail uniforme à l’opposé des aspirations de l’artiste de Llauro.

Car, la grande affaire de Jean-Paul Azaïs est l’animation des surfaces. Tel un compositeur de musique, il y joue des notes et des  accords  qu’il a conçus pour faire chanter la matière. Le regard doit sentir la douceur de la surface. Les pièces sont poncées au papier de verre ou polies avec des galets et des spatules. Elles sont recouvertes d’au moins, deux couches d’engobe et de vernis. C’est la composition de ceux-ci et leur réaction à la chaleur, qui donnent la couleur. Ainsi le bleu, rare dans les terres enfumées, est obtenu par superposition du vernis épuré riche en fer qui fixe le carbone et d’un enduit minéral plus grossier qui ne vernit pas et relâche la fumée *. Le dessin est obtenu  grâce à une savante combinaison des couches, de leur épaisseur, de l’utilisation de caches et enfin, de la conduite de la cuisson.  Il cuit au bois à 1030°C et pilote l’enfumage pendant toute la duré de la cuisson par des phases de réduction ou d’oxydation. Il en résulte une mosaïque de mouchetures, de taches et de nuages. Il souhaite « oublier  la terre,  se détacher de la matérialité, fixer la lumière, glisser sur les reflets ». Le dessin de la surfacecomplète la forme comme dans les Nids où il évoque l’enchevêtrement des brindilles, ou ajoute de nouvelles références empruntées au paysage, aux flaques, aux mousses, aux lichens ou aux ciels.

Jean-Paul Azaïs a créé une œuvre personnelle qui n’a pas d’équivalent. Si on veut la nommer du point de vue technique, on peut l’associer aux  terres enfumées,  dont la carbonisation se produit au cours de la cuisson au bois. Mais sa singularité est la maîtrise des vernis naturels d’argile, qui constituent les instruments de ses compositions. Et surtout, son aspiration et son regard le conduisent à élaborer son propre vocabulaire formel. Ce faisant, en transcendant la nature,  la culture catalane et méditerranéenne dont il est imprégné, il fait pénétrer les objets de terre dans le monde de l’art.  

Bernard Bachelier

*La superposition provoque l’effet Tyndall, physicien irlandais (1820-1893) qui a travaillé sur la dispersion des rayons lumineux. Le bleu obtenu par Azaïs n’est pas du à un oxyde mais à la dispersion de la lumière par les deux couches superposées.

 

Jean-Paul Azaïs a publié en 2013, « Un chemin de terre et de fumée », édition Jean-Paul Azaïs. L’ouvrage de 400 pages, richement illustré, est à la fois une autobiographie où l’auteur raconte ses sentiments, ses rencontres, ses recherches et ses observations et un manuel technique qui donne le détail des procédés. Le caractère humain et personnel et la sincérité du texte en font un récit passionnant.

Les Nids seront prochainement visibles à la galerie accroTerre à Paris et les Bols à la galerie Compléments d’objet à Martot dans l’Eure.