L'enregistrement vidéo de la conférence d'Arnauld de L'Epine
Vous pouvez regarder la vidéo de la conférence en cliquant sur le lien ci dessous :
https://www.youtube.com/watch?v=5DL6g-eS-W0
Merci à Françoise de L'Epine pour l'enregistrement
Vous trouverez ci dessous le texte de la conférence
le texte de la conférence d'Arnauld de l'Epine
Le livre, « 8 artistes & la terre » : des artistes en rupture avec les différents académismes,
conférence prononcée par Arnauld de L'Epine
le 20 janvier 2014
L’art est le devoir le plus élevé de l’homme, la véritable activité métaphysique »
Nietzsche, Naissance de la tragédie
« L’univers de l’art est un univers de recherches et de conflits ».
Jan Patocka, L’art et le temps, Press Pocket, 1992, p.344
« Les valeurs de l’art ont cessé d’être au centre de la civilisation occidentale. Si, de plus, elles cessaient d’être au centre du débat politique, cela signifierait que le libéralisme a définitivement gagné la bataille. Et les conséquences ne pourraient être plus graves, dans la mesure où l’art a été depuis l’aube de notre civilisation, l’origine de toute connaissance possible, le premier stade de l’ouverture au monde…. »
Victor Erice, On ne choisit pas d’être artiste, Le Monde Diplomatique, Sept.2007
« Tout inventeur en matière d’art est futuriste,....ce qui veut dire qu’il dépasse le hic et nunc des besoins et des fins en enrôlant dans l’objet créé des sources d’effets qui vivent et se multiplient dans l’œuvre »
Gilbert Simondon,, Imagination et Invention, Les éditions de la transparence, 2008 p.182.
Biblio. :
- Giorgio Agamben, L’Homme sans contenu, Circé, 1996 (GA)
- Pierre Bourdieu, Manet Une révolution symbolique, Raisons d’agir, 2013 (PB)
- Georges Didi-Huberman : Fra Angelico, Dissemblance et figuration, Gallimard, Champs, 1995 (GDH1); Survivance des Lucioles, Minuit, 2009 (GDH2) ; Sur le fil, Minuit, 2013(GDH3)
- Maurice Merleau-Ponty, L’Oeil et l’Esprit, Gallimard, folio, 2013 (MMP)
- Gilbert Simondon : Imagination et invention, Les Editions de la Transparence, 2008 (GSI)
- Bernard Stiegler : De la Misère Symbolique, La catastrophè du sensible, Galilée , 2005 (BS)
Revues :
- Artpress2 : n°31 Nov.-Déc.2013–Janv.2014 , n°31 : La céramique au-delà de la céramique
PREAMBULE :
Je vous parlerai d’art contemporain car il me semble aujourd’hui obsolète de catégoriser un artiste selon les matériaux qu’il utilise etj’estime en particulier que parler d’artistes céramistes ne sert qu’à marginaliser les artistes utilisant le matériau terre susceptibles de réaliser des œuvres non académiques.
Ainsi cette catégorisation entre artistes céramistes et artistes plasticiens doit être révisée sur la base de modes classificatoires qu’il appartient à chacun d’élaborer sur la base d’une distinction entre art académique et art non académique.
Vous aurez donc compris à partir de l’intitulé de mes propos de ce soir que ces 8 artistes m’intéressent car leur travail a été et est de façon continue en rupture avec les académismes tels que je vous les définirai selon mon point de vue.
Je pars du principe suivant que vous retrouverez dans mes propos lorsque je considère mon rapport à l’art, en reprenant la citation ci-dessus de Jan Patocka ::
« L’univers de l’art est un univers de recherches et de conflits ».
c'est-à-dire de remise en cause permanente pour l’artiste comme pour l’amateur, ce, d’autant plus si nous prenons conscience des enjeux d’un changement d’époque marqué par un système technique désormais planétaire.
Aussi m’adressant à vous amateurs et collectionneurs, je ne parlerai ce soir que du point de vue de l’amateur, en considérant que celui-ci a une responsabilité sociétale de par les choix qu’il fait ; je vous donnerai sur ces questions un point de vue personnel, subjectif, mais je l’espère susceptible de susciter des questionnements et des réactions sur les dérives d’une partie du monde de l’art.
Vous ne serez pas surpris que je vous fasse part de deux de mes principales préoccupations lorsque l’on s’investit dans ce domaine de l’art contemporain :
- d’une part lutter contre la tendance naturelle à se fier à nos habitus de perception, c'est-à-dire à l’ORDRE SYMBOLIQUE TRADITIONNEL ; nous n’aimons pas être bousculés dans nos schèmes classificatoires de modes de représentation et de nos catégories de perception . cf. GDH1 pp.9-10 : « l’œil se ferme aux surprises du regard : il s’arme par avance de catégories qui choisiront pour lui quoi voir et quoi ne pas voir...la peinture exige de nos discours une rectification constante de nos catégories, non seulement interprétatives, mais descriptives »
- d’autre part, nous avons pour ambition de nous donner les moyens de détecter les artistes de notre temps à même de nous « éclairer » au sens des Lumières, à partir de ce que les Grecs appelaient une poiesis - signifiant faire apparaître des fulgurances, et non appliquer un simple savoir-faire » , ce que Didi-Huberman appelle les lucioles, en mentionnant « qu’il ne tient qu’à nous de ne pas les voir disparaître » -cf. GDH2 Survivance des lucioles, Minuit, 2009,p.132 -.
SOMMAIRE
Voici ce que je vais tenter de vous exprimer ce soir :
1° Quelques évènements significatifs survenus en 2013 à même d’illustrer l’époque que nous vivons, du moins telle que je la perçois en tant qu’amateur souvent ulcéré par une misère symbolique de plus en plus envahissante, mais convaincu que dans chaque période il y a des artistes et des amateurs à même de faire émerger des « Lumières » .
2° Nous pourrions voir disparaître l’expérience du sensible (ou de notre relation à « l’être-au-monde ») c'est-à-dire le besoin de « voir et regarder » ; je tenterai de vous définir ce que j’entends par l’aptitude à « voir et regarder » et par sa menace de disparition pour la première fois dans l’histoire de notre humanitési nous ne réagissons pas contre des tendances de plus en plus prégnantes s’appuyant sur le système technique désormais planétaire .
3° Face à ces menaces, l’amateur d’art a plus que jamais besoin de se constituer des schèmes classificatoires de nos catégories de perception l’aidant à ne pas se faire instrumenter pour seulement suivre des systèmes de modes, et à l’aider à détecter les artistes importants de son temps .
4° Quelques propos sur le livre « 8 artistes & la terre » : genèse, quelques caractéristiques communes, quelques photos pour tenter de montrer les singularités très particulières de chacun de ces artistes, les objectifs de ce livre
5° conclusions en forme de remarques à propos de l’intérêt renouvelé du médium terre : il nous faudrait trouver des centres de réflexions et d’échanges de points de vue ; le club pourrait y contribuer à cet égard en invitant des personnalités à traiter de ces sujets.
I - . EVENEMENTS SIGNIFICATIFS intervenus en 2013 : ceux-ci ont eu le mérite soit de nous montrer d’un côté la survivance d’un milieu de l’art soucieux de poiésis ou de faire émerger des lucioles, et d’un autre côté l’étendue d’une misère symbolique de plus en plus prégnante, mais suscitant des réactions susceptibles de renverser cette tendance particulièrement toxique :
- L’exposition METISSAGES de nos amis les Meynet illustrant ce que sont de vrais amateurs de par la qualité et l’intelligence de leur œil et une curiosité sans cesse en éveil vers les champs les plus divers en n’étant pas esclaves du jugement par le prix de l’œuvre.
- Le film « LA RUEE VERS L’ART » montrant l’état de misère symbolique de l’Internationale de l’art dans laquelle nous remarquons une arrogance et un cynisme témoignant d’un état de bêtise d’un cercle fermé de gens de pouvoirs étant menés par la pulsion de la spéculation en achetant n’importe quoi à n’importe quel prix. Toutefois, il existe un, voire plusieurs projets de film montrant de vrais amateurs d’art disposés à lutter contre ces milieux toxiques.
- Le n° de la revue Artpress 2 « LA CERAMIQUE AU-DELA DE LA CERAMIQUE», illustration d’une critique d’art trop souvent plus communicante que critique. Ce n° aurait dû être l’occasion de faire une analyse sérieuse des enjeux et tendances explicitant l’intérêt de plus en plus avéré de nombreux artistes au médium terre sur la base d’un jugement esthétique affirmé et cohérent, ce qui hélas a été loin d’être le cas ; nous avons eu une série d’articles dont la plupart n’avançaient aucun jugement esthétique affirmé pour faire comprendre l’intérêt affiché pour les artistes cités.
II – NOUS POURRIONS VOIR DISPARAITRE L’EXPERIENCE DU SENSIBLE (ou de notre relation à « l’être-au-monde »), ce, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité ; celle-ci peut se définir en tant que besoin de VOIR ET REGARDER DES ŒUVRES D’ART ; j’entends par « voir et regarder » le besoin d’être affecté durablement par une œuvre d’art dans la mesure où nous cherchons à accroître notre DESIR de ressentir et de penser des singularités incommensurables - concernant donc L’IMAGINAIRE ET LE SYMBOLIQUE - et où nous sommes véritablement conscients que de telles expériences sont constitutives de nos singularités individuelles et collectives, c'est-à-dire de nos modes d’individuation psychique et collectifs.
Orcette expérience du sensible est menacée de disparition, dans la mesure où nous vivons un changement d’époque avec le développement de dispositifs techniques hyper-industriels de plus en plus élaborés utilisés par les médias ; ces dispositifs ont le pouvoir d’influencer et synchroniser nos consciences et, grâce aux progrès de nos connaissances sur les mécanismes du cerveau, ils ont aussi la possibilité d’agir sur notre inconscient, siège du DESIR, pour favoriser nos PULSIONS de consommation d’objets artistiques ou autres, ce que on appelle le marketing.
- Nous vivons une GUERRE avec des acteurs contrôlant désormais un système technique planétaire ayant l’objectif de contrôler et conditionner nos comportements, en particulier en diminuant nos facultés d’attention, ce qui n’est pas sans incidences sur nos divers types de savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir regarder et voir constitutif de notre sensibilité imaginaire et symbolique), et donc cherchant à diminuer nos capacités d’individuation psychique singulière et collective.
- Avec l’aide de ces systèmes techniques, nous voyons émerger des acteurs cherchant à limiter le champ de l’art à celui de la distraction et au point de nous faire souvent atteindre ce que certains qualifient de « catastrophe du sensible » - cf. BS : La Catastrophè du sensible : pp.86/87 « la pensée esthétique ....aura toujours été l’objet d’un combat. mais aujourd’hui....... sous la pression du contrôle hyperindustriel qui se concrétise en conditionnement esthétique, et tel que ce conditionnement tend à obérer toute possibilité d’expérience esthétique , l’enjeu est la possibilité même d’une poursuite de l’individuation psychosociale en tant que noétique.
Il s’agit de penser la double tendance à l’expression et à la répression… dans un contexte très particulier où le devenir technique, qui constitue la possibilité même de l’expression, est hégémoniquement contrôlé par des forces de répression qui sont aussi des forces de régression ».
Sur quelles forces ces acteurs s’appuient pour tenter de nous imposer une telle régression ? .
- le fétichisme de l’argent qui envahit les pouvoirs économiques et politiques et impose de plus en plus ses normes « insignifiantes » aux structures institutionnelles et marchandes, mais aussi aux amateurs ne regardant l’œuvre qu’au travers d’une « valeur cotée », et donc incapables de la « voir ».
- Le marketing, nous venons de l’évoquer, lequel réussità « synchroniser les consciences dans des buts de faire consommer n’importe quoi ou cultivant le « rien ».
- une collusion de plus en plus souvent avérée entre des institutions publiques et les agents contrôlant le marché (collectionneurs spéculateurs, marchands d’art plutôt que galeristes, commissaires priseurs) ils imposent leurs normes et leurs barrières à l’entrée en vue de fabriquer et d’imposer des artistes prétendument « avant-gardistes » - le plus souvent « écrasés » par les moyens considérables mis à leurs dispositions - , mais dénués le plus souvent de toute valeur symbolique (quelque fois d’anciens dealers)
- la tendance récente à voir l’emprise de sociétés symbolisant la société de consommation et le luxe instrumenter les artistes et les institutions qui se prêtent au jeu, et organiser des expositions dans des lieux publics prestigieux – cf. les articles de Jean Clair et le récent article du Monde du 30/11/2013 ayant pour titre « Les marques, nouveaux objets de Musée » en citant les expositions Miss Dior et Cartier au Grand Palais ;
- la tendance de nouveaux riches à acquérir à n’importe quel prix « l’œuvre d’art qui soit une marque reconnue par leurs pairs » sur la base d’une pulsion consommatrice de se constituer un « milieu de luxe » dans un besoin d’ostentation pour tenter de se faire reconnaître comme « personnalité » - cf. le livre d’Yves Michaud « le Nouveau Luxe » - .
III - . QU’EST-CE QU’UN ARTISTE CONTEMPORAIN SUSCEPTIBLE DE NOUS « ELEVER » ?
(partie non reprise dans la conférence)
Celui qui nous aide à augmenter « notre expérience de notre être-au-monde » à partir de ce que les Grecs appelaient une poiesis, entendue comme volonté et émanation d’une puissance accrue de l’esprit et transmission d’une surabondance de vie ; cette poiesis est la volonté et la capacité à faire surgir des formes et signes au-delà des limites connues du possible et projection dans un temps suspendu ou dans l’hétérogénéité des temps .
Celui qui fortifie en nous ce désir indestructible de croyance et de sublimation et qui nous incite à la réflexivité en modifiant nos habitus de perception.
Pour cela :
- Il doit avoir absorbé une culture des artistes du passé qu’il admire et avoir réalisé un apprentissage approfondi des médium qu’il souhaite utiliser
- Il a la capacité à extérioriser des images mentales rendant possible des images qui sont des désirs de l’autre – ce qui nous distingue de l’animal – avec aptitude et soin pour ne pas réaliser une production d’artifices, ou le Kitsch entendu comme art de pacotille cherchant à illusionner en prenant la beauté clinquante comme valeur première.
- Il est transgressif , ce qui signifie rupture par rapport à l’ordre symbolique traditionnel – cf. infra - , mais aussi anachronique avec le souci de capter la mémoire du passé en utilisant le capital accumulé par les artistes les plus singuliers auxquels il se réfère afin de lui permettre d’aller au-delà de la tradition académiqueet des systèmes de mode du présent - cf. GDH3 , Sur le fil, pp.65-66. : « au strict point de vue chronologique la pensée des rapports entre les techniques et le temps devait préférer une approche plus anthropologique, et pour tout dire, plus anachronique ….dire post, c’est souvent se satisfaire d’une situation d’où la mémoire ….serait mise hors jeu …..il faut revenir aux grandes intuitions théoriques d’Aby Warburg et de Walter Benjamin sur le temps des images pensé comme jeu complexe du désir et de l’ « après-vivre » , donc pensable seulement comme économie anachronique de temps hétérogènes qui se conjoignent, se bousculent ou entrent en conflit dans chaque geste, dans chaque travaux nouveaux » -.
- Il est en outre transgressif en modifiant les frontières entre les genres et en donnant en particulier une priorité à la construction formelle plutôt que narrative, « il apporte des réponses inédites aux problèmes inédits, qu’il s’était posé et qu’il a posés à tous les peintres après lui » , cf. PB p.67.
- Il a une logique pratique de recherche basée sur des expériences de schèmes pratiques basées sur le travail de l’œil et celui de la main, ou plutôt de tout le corps., tout en utilisant des techniques de pointe et/ou en se servant des connaissances acquises grâce à ces techniques ; ll nous faut éviter l’illusion scolastique de la recherche de l’intention globale et de la « cohérence » de l’artiste dans chaque œuvre et tout au long de son parcours .
- Il produit des nouvelles combinaisons de formes et de matières donnant à voir des fragments de réalité non usuellement perceptibles (et non plus une vision globale) à même de développer une imagination individuelle mais aussi collective .– cf. GSI p.159 : « les inventions successives de formes symboliques recrutent par élargissement des effets et des modes d’apparition de la réalité qui n’avaient pas primitivement droit de cité en domaine artistique…..Ce qui est vraiment l’invention d’une époque, c’est un mode de compatibilité entre des formes précédemment isolées » -
- Il est un « visionnaire », car il nous aide à percevoir une réalité en adéquation avec les connaissances scientifiques, technologiques et des sciences sociales de notre temps.
- Il doit lutter pour ne pas se faire accaparer par des agents économiques et institutionnels lui demandant de se reproduire plutôt que de se renouveler.
- Il contribue à lutter contre la misère symbolique - par son discours sur son art et son opposition aux artistes défenseurs de l’ordre symbolique traditionnel et aux imposteurs que sont les artistes se disant avant-gardistes, mais ne faisant que reproduire essentiellement ce qui a été fait avant eux , mais aussi aux artistes adhérant par leur travail aux tendances dominantes du design de nos jours devenu un mode de normalisation économique et social du plus grand nombre:
- Ces luttes se retrouvent le plus souvent dans ses engagements sur le plan social – cf. Palissy au XVIème siècle ; Goya au XVIIIé s., Manet au XIXème, Rebeyrolle au XXème s. -.
IV- . BESOIN DE REPENSER ET DE RECONSTITUER DE NOUVEAUX SCHEMES CLASSIFICATOIRES nécessitant de mieux définir les différents académismes présents et les tendances d’un art contemporain susceptible de nous « élever »
Les amateurs d’art se doivent en effet de lutter contre ces tendances destructrices de notre humanité à la condition de se donner l’aptitude de dénoncer les acteurs et systèmes contribuant à la destruction de nos modes d’individuation et de se forger de nouveaux schèmes classificatoires.
Ceci n’est pas facile, car il faut au préalable pouvoir prendre conscience des enjeux présents.
Déjà au XVIIIème siècle Adam Smith abordait cette question : cf.photo 00- cf. Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, PUF, 2003, p.273 : « les habitudes conditionnent les préférences esthétiques. Cependant les individus peinent à discerner les sources qui influencent ce qu’ils croient être leurs propres goûts ».
et se forger une « praxis », c'est-à-dire un processus réflexif permettant de se constituer de nouveaux schèmes classificatoires.
Voici celles que je me suis données, lesquelles sont certainement subjectives, et donneront lieu certainement à des discussions et à des échanges de vue :
- ACADEMISMES : Ce qui nous conforte dans l’ordre symbolique traditionnel, en nous installant dans des conformismes nous empêchant de nous ouvrir à « l’expérience du monde » - cf. Georges Bataille, L’expérience intérieure - , en nous confortant dans nos « habitus » et à nos « certitudes » -,
Deux modes traditionnels :
- Pompiérisme : pratique technique « parfaite » reproduisant un ordre symbolique du passé, « œuvres comportant des gens en tenue à l’ancienne » , cf. PB p.17,
Ex. : Bouguereau au XIXème, Garouste -.
- Avant-gardisme académique : artistes de tradition cherchant à suivre des tendances de têtes d’affiche d’artistes renommés du moment « pour faire des choses conservatrices qui ont l’air révolutionnaires » cf.PB p.26, lesquels cumulent alors les profits de la tradition et ceux d’une fausse avant-garde
Ex. Veilhan, Yue Minjun
3. Un nouveau mode : producteurs d’artifices et de distraction, s’appuyant sur le marketing et des appuis financiers importants – cf. Murakami, Nara
lesquels artistes sont particulièrement nuisibles car ils participent de ce que Georges Bataille a appelé une « destruction de l’expérience » et de ce que nous appelons la « prolétarisation » de nos savoirs, de nos modes de perception et de nos affects, c'est-à-dire la destruction de nos modes d’individuation psychiques et collectifs.
Ils produisent des images ou objets insignifiants ou infantiles et ont de nombreux assistants ou techniciens collaborant sur des projets spécifiques, – cf. Pierre Huyghes,, Philippe Parreno - ; ils ont des rapports étroits avec des producteurs d’exposition et souvent avec les maisons de vente aux enchères. Certains d’entre eux peuvent même être d’anciens dealers sur les marchés financiers en vendant leurs produits « disneyland » avec la complicité de marchands, de spéculateurs, -: cf. Jeff Koons, Damien Hirst, .....
2. NON ACADEMISME : c'est-à-dire mode susceptible de nous « élever » , ce que je vous ai évoqué comme étant des lucioles, car faisant apparaître des formes et images de parcelles d’humanité, constitutives de mémoire et de désir, ce désir indestructible de croyance et de sublimation,et non de seule distraction.
Celles-ci non seulement survivent, mais elles pourront contribuer à l’évolution positive de notre monde si les amateurs et autres acteurs du champ de l’art contemporain sauront les regarder et les diffuser.
Il existe une césure entre deux courants en relation avec la question de la mémoire, et donc de la transmission d’un passé non vécu participant de « l’expérience de l’être-au-monde » -cf. d’une part Agamben et Didi-Huberman, d’autre part Rosalind Krauss relatant le postmodernisme -.
1° le POST-MODERNE : ce courant fait table–rase de toute mémoire du passé et le plus souvent fait abstraction de toute subjectivité individuelle.
Ces artistes post-modernes s’efforçent de nous restituer :
- soit des images fragmentaires en vue de créer des compositions de fragments de réels ce que John Cage a appelé « l’intimité de la multiplicité et du vide » - cf. Rauschenberg .
- soit des images « chocs » plus ou moins réifiées ayant pour ambition de déstabiliser nos ha
bitus de perceptions telles que décrites par Baudelaire à l’aube de l’ère industrielle – cf. Anish Kapoor
- soit des images déconstructrices de nos modes de vie – cf., Marcel Broothaers, –
Les œuvres de ces artistes post-modernes ont une commune faiblesse , celle de faire perdre à l’individu tout repère pour orienter leur action et leurs modes d’individuation psychique et collective.
2° l’ANACHRONIQUE terme que je reprends à Georges Didi-Huberman – cf. GDH3 p.65- ; ces artistes ouvrent des « brèches entre le passé et le futur » - cf. H. Arendt, La crise de la culture, Gallimard, 1972 - en créant et en suggérant des compositions de temps hétérogènes dans des structures formelles nouvelles sur la base de l’utilisation le plus souvent de techniques très élaborées et innovantes - cf. les deux artistes catalans : Jaume Plensa et Claudi, Casanovas.
V - . QUELQUES PROPOS SUR LE LIVRE « 8 artistes & la terre » , éditions ARgile 2009 :
1. Pourquoi avoir demandé à des artistes d’écrire sur leurs pratiques ?
Origines :
- Réaction des artistes au Catalogue RMN de la conservatrice de l’époque : « Cinquante ans de céramique française », 2005.
- Besoin de défaire cette classification artistes céramiques / autres artistes
- importance désormais reconnue des écrits d’artistes et de leurs interviews -cf. Journée BNF Juin 2012 sur Jacqueline Lerat intitulée : « Une bibliothèque d’artiste : Jacqueline Lerat et les livres » et cf. DVD de l’interview de Jacqueline Lerat intitulé « L’être et la forme » (prix du jury et du public du festival du film d’artiste de Montpellier).
2. Mode de détermination du groupe des 8 :
- Un groupe d’amis ayant un respect mutuel pour leurs travaux respectifs-
- 3 caractéristiques communes :
a) des artistes ayant marqué leur époque de par leur mode de pratique de l’utilisation du matériau terre en tout ou en partie – pratiques très diverses tant dans l’utilisation du matériau que de sur le plan formel, étant souligné que ce médium est un révélateur d’un fort ou faible tempérament d’artiste de par l’engagement de la main et du corps qu’il nécessite.
b) des artistes refusant toute forme d’académisme et développant leurs œuvres sans se prêter au jeu du marketing.
c) des artistes ayant des formes de vie les engageant totalement ,
3. un rapide aperçu de quelques œuvres de chacun des dits artistes : Claude Champy, Bernard Dejonghe , Philippe Godderidge, Jacqueline Lerat, Michel Muraour, Setsuko Nagasawa, Daniel Pontoreau, Camille Virot , en tentant de montrer l’étendue de leur travail sur la base de quelques photos .
4. Importance de la structure dialogique du contenu du livre :
- création d’un collectif momentané dont le succès n’était pas acquis d’avance étant donné des tempéraments qui le plus souvent inconsciemment ont une attitude de défi, non seulement par rapport au milieu académique, mais les uns par rapport aux autres.
- cristallisation d’un milieu d’échanges, de positionnements et de points de vues pendant plus de deux ans avec des artistes se reconnaissant mutuellement tout en ayant des tempéraments et des parcours différenciés.
5. l’apport de l’expérience de Camille Virot et de sa femme Pascaline , éditions ARgile :
- des talents reconnus de mise en page en donnant de l’importance à la photo
- une expérience de l’écriture reconnue au sein du champ céramiste et au-delà – cf. livre La maison -
6. autre apport : recours à des personnalités hors du champ céramique
-: Germain Viatte : ancien directeur du Musée national d’Art Moderne, Jean-Pierre Thibaudat, critique de Théâtre et ex-grand reporter à Libération (spécialiste des pays de l’Est) et George Collins : philosophe franco-américain et critique d’art
CONCLUSIONS sous forme de remarques à propos de l’intérêt renouvelé pour le médium terre et des dérives d’une partie du mode de l’art :
- Les artistes que j’appelle des lucioles utilisant ce médium ne se contentent plus le plus souvent de faire de la céramique de peintre ou de faire réaliser leur travail par des praticiens de cette technique : Les historiens et critiques d’art ont à développer leurs réflexions sur ces sujets et il pourrait y avoir une volonté de faire travailler des jeunes thésards à cet égard .
- Il existe une dynamique de la créativité en France des artistes utilisant ce médium avec des représentants de jeunes générations à suivre ; toutefois ils devront faire attention aux tentations qu’ils pourraient avoir de faire évoluer leur travail vers des tendances académiques souvent promues par les institutions et des acteurs du marché de l’art telles que le design de l’objet reproductible entendu comme mode de normalisation économique et social du plus grand nombre., le kitsch : art de pacotille cherchant à illusionner en prenant la beauté clinquante comme valeur première et l’informe entendu en tant qu’entropie c'est-à-dire en tant qu’état de désordre laissé au hasard.
- Il faut regretter le maintien d’un clivage entre galeries d’art contemporain et galeries spécifiques dédiées à l’art céramique ; ce clivage semble plus marqué en France qu’ailleurs.
- Cet appétit pour ce médium mériterait des soutiens plus importants des institutions, dans les Musées et centres d’art contemporain. Très peu de Musées d’art contemporain ou des Beaux-Arts ont une politique d’acquisition ou de recherche de donation de telles œuvreset lorsqu’ils ont des collections, celles-ci sont le plus souvent peu mises en valeur au sein de leurs accrochages.
- Les amateurs de céramiques ont une image à améliorer : celle de conservateurs ou de traditionnels dans leurs choix et dans leur non implication dans l’ensemble du champ de l’art contemporain, ce qui en feraient les « parents pauvres » de l’art contemporain.
- Nous ressentons tous un besoin d’échange de points de vue sur les évolutions en cours : le club me parait pouvoir devenir un centre d’échanges de points de vue entre amateurs et personnalités ayant la volonté de réagir face aux dérives que j’ai tenté de vous décrire et de contribuer à faire émerger les lucioles dont nous avant tant besoinpour apprendre à « considérer les nécessités dans les choses » – cf. Nietzsche, Le Gai-savoir - et non à se contenter d’artifices.
Le commentaire de Pierre Soula
Dialogue avec Monsieur de L’Epine ..
« Faire apparaitre des fulgurances et non appliquer un simple « savoir faire » ?
Peut-être ?
Mais : L’artiste est le simple producteur d’un « savoir faire » Fut-il unique et l’eut-il inventé. Si la fulgurance intervient, c’est chez le récepteur de l’œuvre, l’amateur, et cela sans aucune universalité mais, au contraire, dans la singularité d’un seul caractère, d’une seule perception.
L’agrégat de ces perceptions peut fonder des cénacles, avant de fonder des académies, la fulgurance, toute sollicitée socialement qu’elle soit, reste au cœur de chaque personne une alchimie singulière, imprévisible et mystérieuse.
Cet état n’est pas dans l’œuvre, il est en nous, permanent, et si la fulgurance peut forcer l’entrée de ces régions de l’esprit, elle ne vaut que si après les avoir révélées elle les enracine, c’est là le dialogue avec le visible et le fruit de la culture.( La fulgurance avec son immédiateté peut être l’outil des marchands ! )
La production ancienne (celle que nous repérons : « histoire de l’art ») était solide, chamottée de perspective ; le tableau avait des plans, un point de fuite. Les impressionnistes ont rapproché l’objectif, grossi le détail, attaqué l’évidence et la fixité, l’art actuel la « pixéllise » et pulvérise ses fragments en multitudes d’expériences.
Aucune ne me parait déjà négligeable et insignifiante, y compris celles qui font l’objet de commerce, l’hommage du commerce, pour paraphraser La Rochefoucauld ,est un hommage du vice à la vertu. Et d’autre part, cela ne serait pas la première fois que les marchands feraient un mauvais calcul ; quel est le rapport du prix de vente actuel de Rosa Bonheur et Meissonnier à leurs prix d’achat ? Sans parler de leurs places dans l’histoire..
Pierre Soula