Magdelene Odundo et Lawson Oyekan,deux céramistes anglo-africains
Magdelene Odundo et Lawson Oyekan, deux céramistes anglo-africains d'exception
Magdelene Odundo et Lawson Oyekan sont deux artistes contemporains majeurs.Ils ont exposé en 2010 chez Hélène Aziza. Je les avais rencontrés et interviewés. J'ai gardé de cette rencontre le souvenir d'un moment exceptionnel. J'avais rédigé cet article qui n'a jamais été publié. Je le communique tel qu'il fut conçu à l'époque
Est-ce un grand vase, une statue ou un totem? Autant que la dimension, celle d’un petit homme, c’est la couleur qui attire, un ocre lumineux que caresse la lumière. C’est un objet creux d’une grande sobriété d’un mètre de haut et de trente centimètres de diamètre. Le doute n’est pas permis c’est une terre cuite. Minimale? Non, plutôt essentielle. L’évocation du corps humain est palpable. La matière lisse et douce est comme une peau qui attend la main. Et l’orangé est familier et naturel comme la vie. La colonne n’est pas tout à fait cylindrique. De façon lente et nuancée, la verticale s’élargit vers le bas et s’évase au sommet. Trois petits picots marquent le milieu du corps. Deux minuscules anneaux amorcent l’ouverture du vase comme les oreilles encadrent la tête. C’est une œuvre de Magdalene Odundo.
Est-ce un vieux bidon ou une grande jarre ? C’est à la fois une masse et un volume, sombre mais vibrant, brillant et criant. C’est un contenant d’environ un mètre de haut de plus de cinquante centimètres de diamètre. Une sculpture qui a gardé le creux des objets en terre cuite. La puissance de la matière lui confère une présence explosive. Les parois sont épaisses et déformées. Des arêtes la sculptent et captent la lumière. Tout son volume est percé de trous, en tout sens, d’environ un centimètre, qui ont gardé en relief la terre arrachée. Il s’en dégage tous les cabossages de la vie, toutes les blessures humaines, toutes les humeurs accumulées dans les tripes. C’est une œuvre de Lawson Oyekan.
Hélène Aziza a offert à ces deux céramistes anglais d’origine africaine le cadre qu’ils méritaient en les accueillant avec générosité et affection dans son vaste espace contemporain du 19 rue Paul Fort. Ce fut une occasion exceptionnelle pour les parisiens, ou les français de passage à Paris, qui ont su s’y rendre, de découvrir ces deux artistes majeurs de la céramique contemporaine. Deux artistes majeurs que Paris semble ignorer. Cette ignorance montre le chemin que la place parisienne doit parcourir pour s’ouvrir à la création étrangère.
A première vue, l’esthétique est très différente, l’une dépouillée, l’autre massive. Pourtant ces deux artistes partagent beaucoup de points communs. Tous les deux sont d’origine africaine. Tous deux sont des céramistes sculpteurs de la terre. Ils ont gardé la référence au contenant mais leurs créations ne sont pas utilitaires. Leurs formes sont anthropomorphes. Leur inspiration vient du monde des émotions humaines.
Magdelene Odundo est née en 1951 au Kénya. Elle est venue en Angleterre en 1971 poursuivre des études sur le commerce de l’art et le design, d’abord au Cambridge College of Art, puis au West of Surrey College of Art and Design. Magdelene est reconnaissante à ses professeurs d’avoir placé l’éducation artistique dans l’histoire des grandes civilisations, chinoise ou précolombienne par exemple. Ce n’est qu’après des nombreuses expérimentations dans les différentes pratiques du « craft » qu’elle décide que c’est la céramique qui correspond le mieux à ses aspirations. Elle conçoit la céramique comme une approche globale du monde. « C’est l’archéologie, l’histoire, la philosophie, la sociologie qui ont donné un sens à mon choix » affirme t elle.
Par un curieux cheminement, c’est au Nigéria qu’elle apprendra à tourner. En effet, Michaël Cardew l’entraine pendant trois mois à Abuja la capitale de ce mastodonte de l’Afrique qui a conservé l’héritage de son histoire potière. Elle est fascinée par la maitrise que les potières nigérianes ont acquises du tour que venait d’introduire Cardew. Il s’en suit, au retour, une période de tournage de faïence tournée blanche. Elle retourne au Kenya en 1975 et se penche sur le façonnage.
« Je pense avec la terre » affirme Magdelene Odundo . Pour elle, l’argile est un matériau qui suggère par lui-même des pensées philosophiques. La pratique de la céramique la plonge dans les cultures ancestrales de la planète. Toute sa démarche consiste à intégrer la technique et l’esthétique. Son objectif « my personale engagement is to make a very simple version », trouver la forme la plus simple qui capte l’essentiel. Elle recherche aussi la légèreté et, pourquoi pas, une apparence de fragilité. Le corps est toujours très présent. Elle a vécu dans cette culture où le corps, souvent scarifié, fait partie des rituels. Elle se souvient d’une femme enceinte dont les attributs dans la coiffure et le vêtement en faisaient une personne à la fois unique et symbolique.
Les pièces sont modelées. Elle repousse la terre. Elles sont cuites au four à gaz entre 960°C et 1060°C au four à gaz. Elles ne reçoivent ni engobe ni émail et la couverte est le résultat de technique de cuisson. Magdelene Odundo est célèbre pour ses céramiques enfumées. Les pièces sont cuites plusieurs fois, cinq fois pour la pièce noire qui était présentée, alternativement en oxydation et en réduction. Ses pièces sont des contenants. L’artiste kényane y tient. « Le contenant peut donner et recevoir. C’est la conception de l’homme ». Le contenant est un corps. L’humain est un réceptacle. Il renferme un esprit qui peut sortir si on l’appelle. Il peut être constructeur ou destructeur. Ce sont les références de son travail.
L’intérieur de la jarre noire renferme des picots alignés. Ce sont les petits cailloux de ses voyages. Le grand vase ocre a été cuit deux fois. Il peut être vu comme une femme enceinte ou comme un totem. Plusieurs lectures sont possibles. La force des créations de Magdelene Odundo est de s’insérer dans la tradition et de communiquer une grande sensibilité tout en s’affirmant par des formes déjà intemporelles.
Lawson Oyekan est né Londres en 1961 pendant les études de son père. Sa famille est originaire d’Ibadan au Nigéria où son père l’a ramené peu après sa naissance. Lawson se souvient : « J’ai toujours joué avec la terre ». La terre a toujours fait partie intégrante de sa vie. Mais il lui a d’abord fallu faire des études de mathématiques appliquées et de chimie. Ce n’est qu’à son retour à Londres en 1983, enfin libéré de la pression familiale, qu’il a pu se livrer à sa passion.
De 1983 à 1989, il apprend le métier, d’abord au Saint Martin College of Art and Design puis au Royal College of Art de Londres. En 1989, il est lauréat de la bourse Darwin. Puis, il installe son atelier avec le soutien du gouvernement britannique et dès 1991, une de ses œuvres est primée à la biennale de Céramique de Séoul. La grande rupture dans sa carrière est survenue en 1999 lorsqu’il se rend au Danemark pour une rencontre céramique à Tommerup. Des fours immenses lui donnent accès à une maitrise technique inédite. Sa vie bascule. Son travail change de dimension. C’est le début de grands voyages où l’Amérique tiendra bientôt une place importante.
Sa double culture l’a marquée dès son éduction familiale. Son père est méthodiste. En tant que juriste formé en Angleterre, il s’est approprié les concepts du droit occidental. Lui-même a été scolarisé dans une école catholique. Mais sa famille est restée profondément ancrée dans la culture Yoruba. Son grand père était animiste. Fils ainé, Lawson a été initié aux traditions. Il raisonne en animiste. Il a conservé une relation vivante avec les plantes, les animaux et avec la nature. La poterie relève aussi d’une tradition du quotidien des Yoruba - sa grand-mère ne cuisinait que dans des récipients en terre cuite- comme des rites de ces régions du delta du Niger
C’est sa vie intérieure qui lui donne son inspiration. Il se sent autant un artiste des sentiments que du monde extérieur. La céramique est une confrontation de ce qu’il ressent avec la matière. Lawson est un sculpteur du corps humain. Son objectif est de communiquer les souffrances et la renaissance des êtres. Son vocabulaire n’est pas seulement africain mais celui d’un citoyen du monde.
La grande pièce qu’il a nommée « Body Individed 5 » a été créée à Minneapolis. Les titres comptent beaucoup pour Lawson. Ils ne sont pas choisis au hasard. C’est un torse d’homme sur lequel sont écrits les drames de la vie. Les écorchures, terre arrachée au couteau, donnent accès au monde des souffrances intérieures. Les scarifications sont des traces de douleurs. C’est une sculpture qui rend visibles les émotions de la vie. La matière est importante. Elle contient elle-même une histoire. C’est un mélange de terre du Danemark avec des composants végétaux et de terre de Minneapolis qui garde la mémoire des indiens. C’est « une terre qui a souffert et que la nature a préparée pour moi ». La pièce a été cuite au gaz à 1280°C dans un four à sel pendant 10 heures. La terre travaillée en plaques est pliée comme un Origami.
Ces deux artistes apportent une contribution majeure à l’histoire de la céramique par l’originalité de leur inspiration et la qualité esthétique de leurs œuvres Ils tirent de leur origine africaine une communion avec la nature. Malgré la différence de leur personnalité, ils restent très physiques l’un et l’autre. Les formes de leurs œuvres ne perdent pas leur enracinement et ne tombent pas dans la banalité d’un style international trop rabâché. Leurs références humaines et spirituelles les inscrivent dans l’univers des grandes créations plastiques.
Bernard Bachelier 20 septembre 2010 - 1er novembre 2010