La collection de bols de Bernard Bachelier, le catalogue.

Tribune de meynet.maritime@wanadoo.fr | 26.06.2019

La collection de bols de Bernard Bachelier, le catalogue.

Ce catalogue est d'abord un bel ouvrage que l'on a plaisir à feuilleter, le papier est approprié, les photos de Jérémie Logeay sont belles et reproduisent plutôt fidèlement les œuvres et l'organisation des textes parfaitement classique avec in fine un rappel toujours utile de quelques données techniques. Enfin, pour les connaisseurs, le haïku de Paul-Jules est un pur régal.

Les textes de présentation sont suivis des reproductions des œuvres, chaque artiste étant brièvement présenté et chaque œuvre étant sérieusement légendée. Les textes de présentation s'articulent en plusieurs parties inégales en taille, le « Pourquoi collectionner les bols ? »puis « Le bol, objet abstrait » et « Une collection anthologique »font l'objet de développements assez brefs alors que les deux dernières parties » La génération de l'expressionnisme abstrait » puis, le morceau de bravoure final « Qu'est-ce qu'un beau bol ? »sont plus substantiellement développées.

* Le « pourquoi collectionner des bols » est une question souvent posée. La réponse de Bernard Bachelier est claire et heureusement documenté. Le bol « relève de l'essence de la sculpture » et il est aussi »volume, surface,relief et peinture » enfin il est « aussi l'esprit de l'artiste » et bien entendu on pourrait ajouter qu'il est évidemment esprit du collectionneur...Enfin , les éléments factuels sont extrêmement utiles, dates et noms sont parcimonieusement mentionnés dans la littérature céramique alors qu'ils sont vitaux pour comprendre l'histoire de la production , de la commercialisation et de l'évolution des goûts. * Le » bol, objet abstrait », constitue une expression heureusement provocatrice, un dictionnaire des plus moderne pourrait être intéressé par la formule...selon le sens commun, le bol est le prototype de l'objet dans son sens le plus trivial, c'est une chose terriblement matérielle et le plus souvent utile que l'on peut toucher alors que chacun sait que l'abstrait est intouchable, c'est même quasiment sa définition...et pourtant on comprend confusément que le bol peut être la quintessence de la céramique et qu'à ce titre il échappe à la banalité des choses, qu'il s'élève au dessus de l'ordinaire et pour tout dire, qu'il peut légitimement, dans certains cas, échapper à la catégorie sordide et souvent abominable, de l'utilitaire. Chacun aura compris qu'il existe au moins deux sortes de bols et que le bol de « collection » constitue un monde particulier et qu'au sein de ce monde, Bernard Bachelier a effectué une sévère sélection et que le recours à l'adjectif »abstrait »n 'est pas l'effet du hasard comme on le verra plus tard. Le collectionneur est d'abord un « trieur »et ses critères de tri ne sont pas toujours explicites. L'un des mérites de cet ouvrage est de nous offrir la possibilité de pénétrer « l’âme, la mécanique intime » d'un collectionneur cultivé qui est assez généreux pour partager sa manière d’opérer alors que ce genre d'explication est souvent précieusement conservé secret ou bien reste de l'ordre de l'indicible voire de la confusion mentale plus ou moins pathologique. Expliciter une démarche de collectionneur est un exercice périlleux et on doit remercier l'auteur de nous présenter son mode opératoire de manière aussi claire. On notera enfin que les bols sélectionnés sont, à l'exception des bols historiques, des bols « d'artistes », auteurs céramistes qui doivent être reconnaissables si possible avant même que l'on ait vu la signature, s'il y en a une. La définition de « l'artiste »n'est pas vraiment explicitée et heureusement l'auteur nous épargne les habituels développements sur le potier et ses malheurs identitaires.En fait, c'est finalement le collectionneur qui fait l'artiste...n'en déplaise aux professionnels !!

* Une « collection anthologique » constitue selon l'auteur, une œuvre en soi et nous serons nombreux à apprécier cette affirmation positive et justement éloignée de la caricature commune du collectionneur vu comme un accumulateur béat ou un spéculateur sans scrupules qui exploite des fabricants méritants etc...Il y a là des lignes qui vont ravir des collectionneurs inquiets et même les autres. Le lyrisme de Bernard Bachelier est sur ce point spécialement bienvenu tout comme l'évocation pittoresque mais réaliste de la chasse aux bols…

* La « génération de l'expressionnisme abstrait » est une formule destinée à rassembler sous une dénomination facile à mémoriser des artistes dont les œuvres sont à la fois « sculpture , peinture , et céramique ». Selon Bernard Bachelier l'absence de dénomination pour une génération de céramiste constitue une faiblesse et il propose de combler cette lacune.Pourquoi pas ? Commercialement ce serait un plus mais pour l'histoire de la céramique c'est une gageure...La description de trois moments et trois sources paraît réaliste. Cependant il subsiste des doutes sur plusieurs points, par exemple l'acceptation des imperfections est loin d'être générale, Daniel Sarver qui fut l'un des principaux marchands et à ce titre le sélectionneur des années quatre vingt détestait les imperfections et il n'était pas le seul. Par ailleurs l'attitude face au « travail » du feu reste très hétérogène.Il y a un monde entre le spécialiste de la gestion fine du feu comme Jean Girel et les fans des fours Anagama. Enfin, la rupture avec la finalité fonctionnelle (les bols percés de Claudi Casanovas) est potentiellement dangereuse car le bol d'artiste va devoir se mesurer à l'immense armée de la céramique non fonctionnelle (pour éviter de parler de céramique décorative…) mais heureusement, le bol est modeste, il se contente d'espaces réduits, on peut le manipuler aisément et last but not least il est plutôt résistant !!!

* Enfin vint la question que chacun se pose « Qu'est ce qu'un beau bol ? » Bernard Bachelier rappelle d'abord très justement que « toute collection est un classement » et il expose les deux familles de critère que, prudemment, il utilise, »la réussite de l’œuvre par rapport aux intentions de l'artiste et sa capacité à représenter son langage, ensuite l'émotion, le potentiel expressif, la force vitale ». Pourquoi pas ? D'abord, l'interrogation « l'auteur est-il identifiable ? »parait effectivement assez fondamentale. La capacité d'un créateur à élaborer un ensemble d’œuvres cohérent constitue un signal fort de qualité. Ensuite, Bernard Bachelier évoque les propos des artistes eux-mêmes, à juste titre, mais tous ne s'expriment pas avec la même facilité en dehors de leur art. Enfin, reste le champ de l'émotion et là, il y a un passage d'un puissant intérêt car rares sont les auteurs capables d'exprimer les composantes de l'émotion céramique, ses ressorts, et son contenu. Qui donc a déjà dit que « le modelage a plus de potentiel pour rendre compte des sentiments et des intentions que le tournage... ». Merci enfin pour avoir insisté sur la complexité des savoirs faire mis en jeu dans la céramique et remis de l'ordre dans la question disputée de la hiérarchie entre les différentes techniques céramiques,on le savait mais il l'écrit, la hiérarchie c'est fini...

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